Au Mexique, le catch est une religion. Et une culture pop à large rayon d’action. Jimmy Pantera nous ouvre toute grande la porte de cet univers bar(iol)é dans un livre savoureux comme un ragoût épicé, Los tigres del ring. Show devant!

Ne dites pas à Jimmy Pantera que le catch américain et mexicain, c’est pareil. Il risquerait de se fâcher tout bleu comme son idole Blue Demon… C’est que notre collaborateur, graphiste et amateur de cultures underground, en connaît un rayon sur la Lucha libre, la variante latino de ce sport à la réputation sulfureuse. Plus coloré, plus épicé, plus mystique, plus authentique aussi, le catch mexicain nourrit depuis les années 30 une imagerie pop et kitsch à mi-chemin entre esprit pulp, séries Z et comics. Alors que la discipline renaît de ses cendres en Europe, que le magnétisme graphique de ses masques affole les modeux, la Lucha Libre n’a jamais cessé de battre dans le c£ur et les arènes des Mexicains. Ses monstres sacrés, El Santo ou le Docteur Wagner hier, Rey Mysterio Jr ou Mistico aujourd’hui, sont vénérés comme des demi-dieux. Il serait facile de railler ce spectacle, de n’y voir qu’une bouffonnerie carnavalesque. Mais ce serait passer à côté d’un pan entier de la pop culture, nier son génie populaire. Et si le bon goût y est souvent hors-jeu, le ring et ses coulisses brassent avec audace et panache les restes des cultures dominantes. Tombé dans la marmite quand il était petit, Jimmy Pantera a amassé au fil du temps et des voyages une collection impressionnante d’affiches, de typos, de tracts, d’ex-voto et de souvenirs. Un bric-à-brac haut en couleurs dans lequel il a puisé la matière d’un livre picaresque, forcément hors norme, porte d’entrée hypnotisante sur ce monde bigarré et loufoque. Religion, cinéma (la Mexploitation!), romans-photos, jouets, peinture… le catch s’attaque à tous les genres. Et les retourne avec la délicatesse d’un colosse de 130 kilos. Visite guidée.

Los Tigres del ring de Jimmy Pantera (photos Lucie Burton), éditions Ankama, 214 pages.

Une exposition autour du livre Los Tigres del Ring mettant en scène des photos de Lucie Burton et des toiles de Marc De Meyer se tiendra à la galerie MUCHaboutART à partir du 23 janvier, bvd Lambermont, 171 à 1030 Schaerbeek. Tél.: 0497 55 79 77.

www.myspace.com/jimmy_pantera

www.myspace.com/lucieburton

www.muchaboutart.org

1. Les Acteurs

Le ring est une métaphore du monde. Il y a d’un côté les bons, les Técnicos, de l’autre les méchants, les Rudos. Et au milieu, les arbitres, souvent infiltrés par des Rudos… Les lutteurs portent des noms aussi improbables que leurs tenues: Anibal le vampire, La Panthère noire, L’araignée atomique… Un catcheur n’enlève jamais son masque. Lorsqu’un adversaire le lui arrache, c’est l’humiliation suprême. Mais pas nécessairement la fin de sa carrière. Il ne pourra toutefois plus combattre qu’à visage découvert. Le plus célèbre des Luchadores est feu El Santo, l’homme au masque d’argent. Un héros des rings mais aussi de la culture populaire. Il incarnait le Bien, le courage et la morale. Une sorte de Zorro trash…

2. Les Romans photos

Ou plus exactement les romans photos dessinés. Véritables icônes au Mexique, les catcheurs les plus adulés ont été, dès les années 50, propulsés (super)héros des historietas, ces fanzines hallucinés aux tirages astronomiques. Cousins des comics américains de la Marvel, ils arboraient une couverture dessinée. Mais à l’intérieur, toutes les techniques graphiques étaient convoquées (collages, photos, peinture…) pour raconter les histoires abracadabrantes de ces lutteurs affrontant mutants, gangsters ou zombies. Pulp fiction avant la lettre.

3. Le cinema

Il faudrait inventer une 27e lettre pour qualifier le cinéma mexicain de genre qui a fait fureur dans les années 60. A propos de la Mexploitation, Jimmy Pantera parle d’un  » paradis exotique pour cinéphile déviant« . S’inspirant aussi bien de la BD, de l’expressionnisme allemand, de la science-fiction ou encore du péplum italien, ces films truffés de savants fous, de nains maléfiques et de héros cagoulés flirtaient avec le surréalisme. Pour le meilleur et plus souvent le pire. Un engouement qui témoigne en tout cas de la popularité des catcheurs qui faisaient jeu égal avec les super héros occidentaux.

4. La religion

En Amérique latine, la religion n’est pas très à cheval sur les icônes. Plus elles sont bariolées, mieux c’est. Il n’est ainsi pas rare de voir les autels garnis de figurines représentant les catcheurs les plus célèbres. Elles côtoient des images de la Vierge et d’autres bondieuseries. On implore El Santo ou Blue Demon comme Marie ou son fils. Une pratique pittoresque. Que l’on retrouve également dans les peintures pieuses, ces ex-voto aux motifs naïfs où se côtoient, en bonne intelligence et dans un déluge de couleurs, le païen et le sacré.

5. Les products dervis

Les petits Occidentaux ont leurs Action Man, les petits Mexicains leurs Santo, Mille Masques ou Rayo De Jalisco. Les stars du ring se déclinent aussi en jouets, vendus dans des magasins spécialisés ou à la sauvette les soirs de combat. Dans ce cas, la fabrication artisanale est garantie. Tout comme la toxicité des composants… Ce brassage culturel, cette orgie de mauvais goût tapissée de mysticisme ne pouvaient qu’inspirer les (street) artistes, nombreux à se réapproprier l’univers de la Lucha. Parmi eux, Jean Sebastien Ruyer ou Jorge Alderete, dont les dessins stylisés à la Charles Burns ont fait le tour du monde. Sans tomber le masque…

Texte Laurent Raphaël

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