L’INVITÉ D’HONNEUR DU BRUSSELS FILM FESTIVAL ET DE LA CINEMATEK INITIA LE NOUVEAU CINÉMA ALLEMAND. VOLKER SCLÖNDORFF RESTE UN GRAND TÉMOIN DE SON TEMPS.

Volker Schlöndorff vient juste de retrouver Berlin après le tournage de son nouveau film en Amérique. Return to Montauk a un casting de rêve: Stellan Skarsgård, Nina Hoss et Niels Arestrup. C’est l’histoire d’un écrivain en tournée de promotion avec son nouveau livre. « J’aurai attendu la septantaine pour oser faire un film autobiographique« , sourit le cinéaste allemand, dont le scénario s’inspire de souvenirs personnels. Des souvenirs, Schlöndorff en a des tonnes, tous très clairs dans une mémoire à la précision remarquable. Nul n’est mieux placé que lui pour évoquer le cinéma allemand tel qu’il s’est redéfini dans les années 60 et 70. Une période charnière, entre son premier film adapté de Robert Musil Les Désarrois de l’élève Törless en 1966 et le triomphe du Tambour adapté de Günter Grass en 1979 (Palme d’or à Cannes puis oscarisé à Hollywood). Celui dont le récent Diplomatie a été un succès en parlera, c’est sûr, lors de ses interventions au Brussels Film Festival et à la Cinematek ce samedi. Il a partagé pour nous, dans un excellent français, ses commentaires lucides sur les débuts d’une carrière inscrite avec force dans les élans et les tourments de son époque.

La Nouvelle Vague et après

« Le premier grand choc fut bien sûr la Nouvelle Vague! », s’exclame celui qui fit ses études cinématographiques à Paris et fut l’assistant de Louis Malle, de Jean-Pierre Melville et Alain Resnais au tournant des années 50 et 60. « J’étais à Paris et j’ai vécu tout cela. J’étais tous les soirs à la Cinémathèque, rue d’Ulm, où on s’imbibait de cinéma classique, et voilà que simultanément tout ou presque était remis en question. Un événement formidable, que j’ai eu la chance de vivre de très près en travaillant sur Zazie dans le métro de Malle et L’Année dernière à Marienbad de Resnais. On croyait qu’on allait réinventer le cinéma complètement. Vous imaginez ce que ça pouvait me faire, de vivre ça, à 21 ans! C’est sur cette lancée que j’ai réalisé mon premier long métrage, Les Désarrois de l’élève Törless, en 1965, et le film d’après Vivre à tout prix(en 1967, NDLR). »

Vibrant totalement avec son temps, le jeune Schlöndorff souligne que les bouleversements opérés dans le cinéma par la Nouvelle Vague furent suivis d' »un second mouvement qui s’étendait, lui, à l’ensemble de la société« . L’Allemagne où il était retourné vivrait intensément ce bouillonnement politique s’incarnant dans Mai 68 et « qui à son tour allait changer le cinéma« . « Tout était politisé, pour le meilleur et pour le pire, se souvient le réalisateur, même un film d’aventure ou un polar ne pouvait plus être tourné sans conscience politique. Nous étions très enthousiastes, nous avions l’impression que tous les cinq ans il y aurait une nouvelle remise en question, esthétique ou politique…  »

Neuer Deutscher Film

Son adaptation du roman d’Heinrich Böll L’Honneur perdu de Katharina Blum (1975) allait tracer un portrait au vitriol de la société allemande. Volker Schlöndorff confirmait la force d’un travail qui avait fait de lui, quelques années plus tôt, un des initiateurs (l’autre étant Alexander Kluge) du Neuer Deutscher Film, ce qu’on devait appeler en français « le nouveau cinéma allemand »: « Nous rejetions le vieux cinéma de pur divertissement qui était alors le seul possible, nous revendiquions la liberté d’évoquer les sujets tabous, de mettre l’Allemagne du « miracle économique » devant ses contradictions. Nous étions un groupe, une fraternité esthétique et idéologique qui voulait prendre le cinéma allemand en main. »

Avant même de connaître la consécration internationale avec le triomphe du Tambour en 1979, Schlöndorff s’était attiré des reproches virulents venus de droite, surtout, mais aussi de l’extrême-gauche. « La violence s’était invitée dans le débat politique, se souvient le cinéaste, et dans la société, avec Baader-Meinhof, la RAF, etc. D’un coup se produisait un clivage énorme. Il ne s’agissait plus de savoir si on était dans une révolution esthétique ou politique, mais de savoir si on était ou non dans la légalité, clivage essentiel d’une société démocratique et bourgeoise. Dans ce contexte, certains n’ont pas pu ou voulu faire de différence entre une violence esthétique et la violence criminelle. Dire aux gens de faire ou de ne pas faire quelque chose n’est pas le rôle des artistes, alors certains d’entre nous se sont vus accusés, parce nous avions été solidaires des mouvements d’où s’étaient extraits les activistes employant la violence… C’est ainsi que nous avons fait L’Allemagne en automne(coréalisation de plusieurs cinéastes dont Shlöndorff, Fassbinder et Kluge, en 1978, NDLR) pour donner comme un grand coup de frein, en nous interrogeant sur la question de la fin qui ne peut justifier certains moyens. Bien sûr nous avons été accusés de sympathie, il a fallu assumer notre ambiguïté. On peut avoir de la sympathie pour les égarés tout en disant qu’ils se sont égarés… » Même si son cinéma s’est progressivement éloigné des urgences de l’époque et de la politique, Volker Schlöndorff est resté un témoin lucide, honnête, précieux à l’heure d’autres débats cruciaux, tant il est vrai que « souvent le passé peut éclairer le présent« .

VOLKER SCHLÖNDORFF SERA PRÉSENT LE 18/06 À FLAGEY DANS LE CADRE DU BRUSSELS FILM FESTIVAL, PUIS LE MÊME JOUR À LA CINEMATEK (AVANT LA PROJECTION DU TAMBOUR EN « DIRECTOR’S CUT »), OÙ A LIEU UNE RÉTROSPECTIVE DE SES FILMS (DU 18/06 AU 31/07).

RENCONTRE Louis Danvers

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