MÉLODRAME SE DÉPLOYANT ENTRE AMÉRIQUE ET JAPON, THE SEA OF TREES VOIT GUS VAN SANT ORCHESTRER UNE CURIEUSE RENCONTRE À L’OMBRE DE LA MORT, OMNIPRÉSENTE DANS SON CINÉMA.

Le Festival de Cannes est un juge impitoyable. Et si des carrières y ont pris leur envol, des films y ont aussi été proprement enterrés, et non des moindres parfois. On n’imaginait pas pour autant semblable mésaventure arriver à Gus Van Sant, Palme d’Or 2003 pour Elephant, et Prix du Soixantième anniversaire pour Paranoid Park quatre ans plus tard. Jusqu’à ce soir du 15 mai 2015 où, présenté en compétition, The Sea of Trees (La Forêt des songes, devenu ensuite Nos souvenirs en vf) devait essuyer les lazzi avant d’être proprement laminé par la critique, rivalisant d’adjectifs assassins pour qualifier un film poussif il est vrai.

Convention narrative

S’il a été affecté par cette conduite de Grenoble, Gus Van Sant n’en laisse en tout cas rien paraître alors qu’on le rencontre, on ne peut plus détendu, le surlendemain, le temps d’une interview express. Au coeur du film, on trouve la forêt d’Aokigahara, au Japon (cadre, également, de The Forest, le film d’horreur de Jason Zada), rendez-vous de nombreux candidats au suicide, au rang desquels Arthur Brennan (Matthew McConaughey), le personnage central de l’histoire. « Je n’avais jamais entendu parler de cet endroit avant de lire le scénario de Chris Sparling, commence le cinéaste. J’ai voulu m’assurer de son existence, que j’ai pu vérifier sur Internet, et j’ai regardé quelques documentaires qui m’ont fourni nombre d’informations. Je ne m’y suis rendu que plus tard. J’étais intéressé par le fait que ce personnage entame un voyage sans que l’on soit certain de ses motivations, mais aussi qu’il soit interrompu… « , le périple changeant de nature avec la rencontre de Takumi Nakamura (Ken Watanabe), au coeur de la forêt.

Si on l’a certes déjà connu plus inspiré, Van Sant renoue là avec la sève de certaines de ses oeuvres antérieures. Le réalisateur évoque d’ailleurs « la familiarité » d’une histoire combinant des éléments présents dans Last Days, Gerry et Restless en particulier, trois films évoluant à la lisière de la mort, noeud, dans les deux derniers cités, de la relation entre les deux protagonistes. La mort, c’est, du reste, au même titre que l’adolescence ou les « outsiders », l’une des matrices du cinéma du réalisateur de Portland. Un postulat affirmé dès le court métrage Five Ways to Kill Yourself et répété ensuite tout au long de sa filmographie, de Mala Noche à Restless en passant par Drugstore Cowboy, To Die For et, bien sûr, la tétralogie courant de Gerry à Paranoïd Park, en passant par Elephant (au départ du massacre de Columbine) et Last Days (une digression sur les derniers jours de Kurt Cobain). Au sujet de son intérêt -obsession?- pour la mort, Van Sant parle de convention narrative: « Elle ne constitue pas le motif exclusif du film, mais un élément parmi d’autres, pose-t-il. Dans Gerry, Last Days et Elephant, sa présence était chaque fois à l’origine d’une histoire et j’étais plus intéressé par ce qui en découlait que par la mort elle-même. Prenons le cas de Last Days: ce qui est arrivé à Kurt Cobain dans les trois derniers jours de sa vie reste un mystère, qui est devenu l’objet de spéculations. Ces trois jours manquants étaient censés fournir une explication sur ce qui s’était passé, ils devaient agir comme révélateur, qu’il se soit suicidé ou qu’il ait été tué par quelqu’un d’autre. Ils m’intéressaient plus que sa mort en tant que telle. Je voulais essayer d’expliquer ce qui était arrivé, même si je n’étais pas certain qu’il se soit produit grand-chose. J’ai donc supposé qu’il avait en quelque sorte erré, comme on le voit faire dans le film, en tentant de s’éloigner des gens. » Ou comment laisser son imagination composer un paysage fictionnel stimulant au départ d’une situation donnée.

Un outsider à Hollywood

The Sea of Trees ne fonctionne pas fondamentalement autrement, avec une réussite relative cependant. A travers la déambulation de son duo de personnages, ce sont aussi deux manières différentes d’envisager l’existence, la mort et l’au-delà que questionne le réalisateur, amenant son récit en quelque terrain philosophique ouvert. « Je suis intéressé par différentes formes de spiritualité, sans avoir de certitude quant au caractère indiscutable de l’une d’elles… », avance-t-il. Lui, en tout état de cause, n’en finit pas de renaître et de se réinventer, donnant à son parcours des inflexions inattendues. L’artiste aime à l’évidence les chemins sinueux et autres voies de traverse, dont la dernière en date l’a conduit du côté de la télévision, à Boss, qu’il produisait non content d’en réaliser un épisode, succédant le pilote de la mini-série The Devil You Know. Une démarche qu’il veut, pour le coup, avant tout pragmatique: « The Devil You Know n’est pas vraiment mon projet, c’est celui de Jenji Kohan qui en est l’auteure et la productrice. Je n’en suis que le réalisateur, et un réalisateur de télévision a beaucoup moins de liberté. Ce sont les auteurs qui décident et contrôlent votre travail. En fait, c’est un peu comme tourner une pub. Mais cela ne me dérange pas d’être au service d’un auteur et de l’aider à créer sa vision. »

A croire même qu’il y a pris goût puisqu’il enchaînera avec une autre mini-série, When We Rise, écrite cette dernière par Dustin Lance Black, le scénariste de Milk, et renouant d’ailleurs avec cette même fibre activiste puisqu’elle retracera l’histoire du mouvement pour les droits des homosexuels aux Etats-Unis depuis le début des années 70. Avant, qui sait, d’en revenir à la veine expérimentale de ses débuts (« j’aimerais bien, en effet, mais je n’ai pas de projet précis »), ADN d’un cinéaste ayant su, comme peu d’autres, évoluer un pied à Hollywood et l’autre en dehors: « Tout dépend du budget, sourit-il en guise de conclusion. En dessous d’un certain montant, on peut toujours s’arranger… »

J.F. PL.

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