Bernard Rose a coaché les jeunes participants à l’atelier du BIFFF. Pour le réalisateur de Candyman, filmer sans caméra, c’est pour demain.

C’est une personnalité marquante que le BIFFF a choisie pour superviser la treizième édition de son workshop fantastique. Celui que révéla naguère Paperhouse, et dont le Candyman de 1992 reste un film culte pour nombre de connaisseurs, a perçu chez les étudiants participants  » un enthousiasme sincère pour le genre, des idées vraiment créatives, et une capacité à travailler dur« . Une fois les inscrits divisés en trois équipes et les sujets, pitchés par les uns et les autres, réduits à autant de films à réaliser, Bernard Rose a joué  » le rôle d’un producteur exécutif qui n’hésite pas à signaler que quelque chose ne va pas et qu’il faut le refaire autrement« . Pas de liberté totale donc pour des jeunes appelés de toute façon à  » intégrer ce paradoxe qui fait des contraintes du genre un gage de liberté d’autant plus intéressante, créativement parlant, qu’elle doit être négociée au sein de certaines règles, voire pour les plus entreprenants en les subvertissant… ».

L’HORREUR FONCTIONNE PAR CYCLES

Le cinéaste anglais, né à Londres en 1960, croit aux vertus du mélange entre désir personnel et obliga-tion de « divertir », radicalité et ouverture au public. Il s’avoue frappé par le thème dominant que partagent les trois films réalisés dans le cadre du workshop.  » Tous ont en commun d’évoquer des angoisses sexuelles. De manière évidente, la sexualité fait peur à ces jeunes gens qui ont tous inclus dans leur film respectif des scènes représentant l’acte sexuel de manière fantastique. Aucune de ces scènes, et c’est fort intéressant, n’est une scène de « baise ». Elles s’inscrivent dans le bizarre, le surréalisme. Un des films montre le viol d’un prêtre par des lapins de Pâques, un autre évoque le David Cronenberg des débuts, le troisième est une épopée fétichiste qui m’a fait penser à Bunuel. Tous étant violents, et contenant des scènes sexuelles violentes, de manière très explicite et en marge de toute normalité. J’aime bien ça! Je retiens aussi que les filles impliquées dans la réalisation ne sont pas les plus timides.  »

Les contacts avec les étudiants réunis à Bruxelles ont permis à Bernard Rose de confirmer un double constat qui ne lui déplaît guère de poser:  » Le cycle parodique des années 90, où le genre fantastique n’est plus qu’objet de second degré moqueur (Ndlr, les séries à succès Scream et Scary Movie) est aujourd’hui révolu, et le cycle des films de torture qui a dominé le début des années 2000 (Ndlr, Saw, Hostel) est en train de s’achever. L’horreur fonctionne par cycles. Le prochain impliquera, je crois, des films attachés au corps, à l’image du corps et à sa réalité, à ses transformations, à l’interaction entre l’humain et la machine. Le génial Videodrome de Cronenberg (Ndlr, réalisé en 1982) est le précurseur absolu de cette thématique. Un film résolument visionnaire. Les nouvelles générations auront des microprocesseurs dans le corps. Nous sommes les derniers êtres humains à ne pas avoir de piles, la dernière génération intégralement organique! »

Celui qui n’a pas hésité à clamer  » la pellicule est morte, vive le cinéma! » ne manifeste aucune angoisse face aux évolutions d’une technologie qui rend désormais  » à peu près tout possible« .  » Il était déjà possible de faire des tas de choses quand j’ai débuté au milieu des années 80, mais il fallait à l’époque beaucoup plus de connaissances techniques pour y parvenir. Aujourd’hui, ces compétences ne sont plus vraiment nécessaires tant les machines nous facilitent la tâche. Vous pensez une chose, la machine le fait pour vous…  »

LA BEAUTé DE LA LENTEUR

Rose se rappelle ses tous premiers pas dans l’univers du cinéma, quand il intégra la production de Dark Crystal (1982) dans l’atelier des « créatures ».  » Ce film a été fait à 100 % avec des marionnettes géantes et des « animatronix », des créatures animées par un mécanisme piloté depuis un ordinateur. Aucune technique virtuelle n’a été utilisée. Le Yoda de La Guerre des étoiles est sorti du même atelier. Toutes ces créatures étaient des muppets en latex, il était difficile de leur donner du mouvement. Le génie de Jim Henson a été d’utiliser cette limitation dans le style même du film, hiéra- tique et lent, qui lui fait ressembler – quand on le revoit maintenant – à une pièce de théâtre Nô. C’est tellement beau! Aujourd’hui, avec les images de synthèse, tout peut aller très vite. Mais ce que le CGI (Ndlr, les images générées par ordinateur ) doit encore apprendre, c’est la capacité à rester statique. Les films en CGI bougent à la vitesse d’un cartoon du Roadrunner et du Coyote. C’est plaisant, mais la beauté peut venir d’une certaine lenteur…  »

Son point de vue critique n’empêche pas le cinéaste de s’enthousiasmer devant les nouvelles évolutions ( » toutes proches« ), comme  » ces senseurs que l’on pourra suspendre au plafond d’une pièce et qui scanneront à 360 degrés tout ce qui s’y trouve et s’y passe. En accumulant toutes ces données sur votre ordinateur portable, que vous emporterez ensuite chez vous où il vous sera loisible de faire bouger une caméra virtuelle, en suivant telle ou telle personne sous n’importe quel angle… Filmer sans caméra, c’est pour bientôt!  »

LES PORNOGRAPHES ONT MONTRé LA VOIE

Restera bien sûr à avoir une histoire à raconter…  » Tout le monde possède la « technologie » nécessaire à l’écriture d’un roman, mais tout le monde n’écrit pas pour autant Guerre et paix!, conclut Bernard Rose. Il faudra toujours des idées, un important investissement en temps et en énergie pour faire un film valable. Mais il sera possible d’avoir de grandes ambitions avec un budget modeste. Et cela va changer la face du cinéma, pas seulement fantastique. On pourra faire des choses extraordinaires à l’image sans avoir besoin de dépenser une fortune. Et ensuite, on distribuera son film soi-même, via Internet. Comme toujours, les pornographes auront montré la voie. Ils ont été les premiers à tourner en VHS, les premiers à tourner en DV, ils sont les premiers à utiliser l’Internet comme moyen de distribution. Nous y viendrons tous! »

ENTRETIEN LOUIS DANVERS

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content