ASTRID WHETTNALL ÉVOLUE SUR LE FIL DU RASOIR DANS LA ROUTE D’ISTANBUL, UN FILM INTERPELLANT OÙ RACHID BOUCHAREB TRAQUE LA VÉRITÉ HUMAINE DE LA RADICALISATION.

Autant que celui de Rachid Bouchareb, La Route d’Istanbul est le film d’Astrid Whettnall. Pratiquement de chaque plan, l’actrice belge y vibre d’une intensité contenue, passant par tous les sentiments qui assaillent Elisabeth, une mère dont l’existence bascule le jour où sa fille disparaît, vraisemblablement partie pour la Syrie, comme le lui apprendront les policiers. « J’ai été impliquée dans le projet assez tard, relève-t-elle pourtant, alors qu’on la retrouve dans le salon feutré d’un hôtel bruxellois. Rachid Bouchareb pensait au film depuis quatre ans, il y a activement travaillé et l’a coscénarisé avec trois auteurs, dont Yasmina Khadra, pendant deux ans, et moi, je suis arrivée seulement un mois avant le tournage. Il avait vu par hasard Au nom du fils dans le coffret des César, et il a demandé à me rencontrer. Je n’ai pas passé d’essai, on a parlé de tout et de rien autour d’un café, à Saint-Gilles, et au bout d’une heure et demie, il m’a proposé le rôle d’Elisabeth. »

Garder le lien

Le hasard fait donc parfois fort bien les choses. « Travailler avec des réalisateurs engagés me passionne, souligne la comédienne. C’est dans ces films-là que je me sens la plus vivante en tant qu’actrice. » Elle trouve par ailleurs devant la caméra de Rachid Bouchareb un rôle sur le fil du rasoir comme elle semble les affectionner, après la mère vengeresse de Au nom du fils, justement, la tragi-comédie de Vincent Lannoo. « Ce sont des personnages intéressants, confie-t-elle. Ce qui me plaît surtout, c’est de réfléchir sur un problème de notre société ou, grâce au personnage, de mettre la lumière sur une personne, une famille, un destin, une injustice, des problèmes, des combats, ce qui se passe aujourd’hui dans le monde, chez nous ou ailleurs. Dès qu’un film parle d’un problème actuel, cela m’intéresse. » En quoi elle aura été servie avec La Route d’Istanbul.

Bouchareb, l’auteur de drames intimistes comme Little Senegal ou London River, mais aussi de fresques historiques comme Indigènes ou Hors-la-loi, s’y empare d’une actualité brûlante, envisageant la question de la radicalisation de jeunes gens partis faire le djihad du point de vue de leur famille. Et plus particulièrement de cette mère, engagée dans un combat opiniâtre pour tenter de retrouver sa fille. « Aujourd’hui, il y a un amalgame terrible et dangereux entre les kamikazes et leurs familles. On oublie qu’elles sont les premières victimes, et qu’il y a énormément de violence à leur égard. Je trouvais intéressant que la lumière soit mise sur la mère et donc sur la famille de ces jeunes qui partent, afin de montrer la solitude, l’incompréhension, le choc et après, l’enfer. Mais surtout la solitude. » Et de compléter: « Un élément qui ressortait également du scénario -je suis moi-même mère de famille-, c’était l’importance de garder le lien avec son enfant, surtout dans le monde actuel. Et puis, je fais partie de ceux qui croient que la culture peut faire changer le monde. La culture et l’éducation sont les piliers de notre salut et d’un retour vers un monde plus humain qui défende nos valeurs. Or, dans la crise que nous connaissons, c’est malheureusement dans ces secteurs-là que l’on pratique des coupes. Un adolescent connaissant un moment de fragilité, s’il lit un livre parlant de ce sujet ou voit un film comme celui-ci, sera peut-être moins perméable au discours des rabatteurs ou des recruteurs. »

LaRoute d’Istanbul est d’ailleurs éclairant à plus d’un titre, démontant les mécanismes de l’endoctrinement ou montrant encore que la radicalisation frappe tous azimuts, le phénomène touchant ici une famille « moyenne » et un environnement a priori préservé. « Du coup, la question devient beaucoup plus universelle », souligne l’actrice. Pour autant, le propos tire aussi une bonne part de sa force du fait que Rachid Bouchareb ne verse jamais dans les lourdeurs du film à thèse, privilégiant toujours la vérité humaine. « Nous étions tous conscients de notre responsabilité. Il importait de rester le plus sincère et le plus honnête possible par rapport à la souffrance de ces familles. Il y a un côté radical, mais il n’y a aucun effet, tout est authentique. » Justesse qui se double du refus des simplifications abusives: « Rachid ne donne aucune réponse facile, il ouvre tout le champ possible des questions. » Son film n’en a que plus de prix…

RENCONTRE Jean-François Pluijgers

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