Le cinéma européen s’ouvre aux cultures extra-européennes, et y gagne une authentique richesse humaine. Un brassage ethnique et culturel qui irrigue également le festival Trouble # 4, incursion exaltante dans l’univers de la performance.

Qu’il ait pour vocation de refléter le monde ou de le fantasmer, le cinéma – mais aussi les arts de la scène si l’on peut en juger par le riche et éclectique menu de Trouble # 4 ( voir détails en pages suivantes) -, ne peut totalement ignorer la réalité sociale et culturelle qui baigne son environnement humain. A l’heure d’une globalisation qu’accompagnent des mouvements de populations de plus en plus intenses, cette réalité n’en finit pas de se redessiner, au fil d’arrivées recomposant un paysage humain, un tissu vital, où les vagues d’immigrations précédentes laissent par ailleurs déjà une marque importante.

VISIBILITé

Il a fallu d’abord voir émerger à l’écran des figures « allochtones », issues de ce qu’il est convenu d’appeler « les minorités visibles ». D’Afrique noire ou – surtout – du Nord, ces comédiens furent appelés à colorer de réel un paysage cinématographique français qui se devait de montrer l’exemple, même tardivement. Pascal Légitimus, Isaac de Bankolé d’une part, Jamel Debbouze, Sami Naceri, Roschdy Zem, Sami Bouajila, Saïd Tagmahoui, Gad Elmaleh de l’autre, ont joué ce rôle avec un réel talent, et pour certains un grand succès populaire. Significativement, le mouvement fut plus lent pour les femmes. Isabelle Adjani devint une star sans que l’on mentionne ses origines nord-africaines et son second prénom Yasmine… Et ce n’est qu’assez récemment qu’ont pu se révéler pleinement de jeunes comédiennes telles Aïssa Maïga ( Les Poupées russes, Caché), Rachida Brakni ( Chaos, Mon accident) ou Hafsia Herzi ( La Graine et le mulet).

Cette mise en phase avec le réel, toujours en cours, s’est d’abord produite en France, ex-puissance coloniale, mais devrait gagner progressivement d’autres filmographies européennes. Cette élémentaire visibilité a pour résultat d’intégrer le thème des différences et le constat des similitudes dans une même trame narrative. Elle fait que ces interprètes, auxquels nous sommes appelés à nous identifier par-delà toute question d’origines, ne se doivent absolument plus d’être les représentants de quoi que ce soit. Leur « banalisation » est le meilleur garant d’un vrai tissu commun, à rebours des menées communautaristes.

Par-delà les films dénonciateurs du racisme, et dont Dupont Lajoie d’Yves Boisset fut, en 1975, le premier exemple spectaculaire avec son lynchage d’un arabe injustement accusé de viol et de meurtre, les dernières années ont vu émerger dans plusieurs pays le thème des rapports entre cultures au sein de la société européenne. En Allemagne, Fatih Akin (lui-même d’origine turque) en a fait la matière captivante de son ravageur Gegen Die Wand avant de le traiter de plus sobre façon dans De l’autre côté. Chez lui, les personnages ne sont pas stéréotypes mais des individus, des êtres de chair et de sang. Et l’amour s’impose comme vecteur de communication, avec en perspective un métissage fécondant le futur là où d’autres rêvent d’un repli identitaire stérile.

MéTISSAGE En France, ce sont, singulièrement, les rapports entre Juifs et arabes qui suscitent le plus d’attention de la part des cinéastes. La Haine de Mathieu Kassovitz avait présenté une bande de potes des deux origines, L’entente cordiale avec Patrick Bruel et Richard Berry avait confronté deux flics, l’un Juif et l’autre arabe. Tout récemment, La Petite Jérusalem de Karin Albou et Mauvaise foi avec Cécile de France et Roshdy Zem ont abordé la question du couple mixte. Dans la vie de Philippe Faucon prenant pour héroïnes deux mères, l’une arabe et l’autre juive, pour personnages principaux ( lire notre entretien en pages 24-25).

En Grande-Bretagne, plusieurs films ont dirigé leurs regards vers des populations d’origine indienne ou pakistanaise saisie entre tradition et modernité. East Is East (sur le mode de la comédie) , Buddah Of Suburbia (sur un scénario du brillant Hanif Kureishi), comptent parmi les réussites du genre. Ken Loach, lui, s’est plongé dans la thématique du travail clandestin d’immigrés de l’est et de son exploitation dans It’s A Free World tandis que le regretté Anthony Minghella filmait dans Breaking And Entering les relations délicates d’un architecte anglais et d’une réfugiée bosniaque… jouée par Juliette Binoche.

Logiquement, le sujet des droits des femmes issues de milieux hostiles à ces droits (par tradition et/ou religion) a fait son chemin vers l’écran. De manière rageuse dans le Chaos de Coline Serreau, plus sereinement mais non moins fermement dans d’autres films signés de réalisateurs eux-mêmes nés dans des familles d’immigrés arabo-musulmans. L’émergence d’un talent comme Abdellatif Kechiche ( L’Esquive, La Graine et le mulet) s’inscrit par ailleurs dans une indispensable et lucide prise de parole « de l’intérieur » mais ouverte de remarquable manière à l’autre.

Et le cinéma belge? Il sait se colorer de présence africaine comme dans Hop de Dominique Standaert, et l’on attend impatiemment le nouveau film des frères Dardenne, Le Silence de Lorna, attaché aux pas d’une jeune Albanaise vivant en Belgique. Non sans oublier que Marc Didden fut, dans son Brussels By Night de 1983, un des tout premiers réalisateurs à mettre en valeur un personnage maghrébin (joué par Amid Chakir)…

TEXTE LOUIS DANVERS

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