Révélation du Silence de Lorna, Arta Dobroshi retrace le parcours qui l’a conduite de Pristina au film des frères Dardenne.

Quand on la retrouve, courant juin, à Bruxelles, Arta Dobroshi semble encore portée par une vague cannoise: le sourire est radieux, le propos, spontané, se prolonge régulièrement d’un grand rire. Quelques semaines plus tôt, sa prestation dans Le Silence de Lorna a fait forte impression sur la Croisette. Nul n’aurait d’ailleurs crié au scandale si elle s’en était repartie un Prix d’interprétation dans ses valises. Le jury en a décidé autrement, sans que l’enthousiasme de la comédienne s’en trouve altéré.

A pas même 30 ans – elle est née en 1979 à Pristina, au Kosovo -, l’actrice est à un tournant d’un parcours que l’on qualifiera de simple et mouvementé à la fois, eu égard au contexte politique délicat dans lequel elle a grandi. L’incertitude liée à la guerre, c’est ce qui l’amène à 15 ans, pour quelques mois, aux Etats-Unis où elle s’essaye pour la première fois aux arts dramatiques. De retour en Europe, à Tirana puis Pristina, elle joue, à l’âge de 17 ans, dans une pièce de théâtre.  » Après huit heures de répétition, alors que tout le monde était épuisé, moi, j’en voulais encore« , explique-t-elle. Si bien qu’au moment de choisir entre ses deux passions du moment, la peinture et la comédie, Arta Dobroshi opte pour l’Académie d’art dramatique de Pristina, dont elle suit les cours pendant quatre ans.  » Après, se souvient-elle, tout est venu très naturellement. Il est difficile de survivre en tant qu’acteur partout dans le monde et spécialement dans les Balkans, où l’industrie du cinéma et le théâtre ne sont guère développés. Mais j’ai suivi mon c£ur. » Ce qui, dans son chef, se traduit par diverses expériences, théâtrales et cinématographiques. Non sans qu’elle s’arme d’une conviction, dont elle ne s’est point départie depuis:  » Le monde est petit, quand on fait cette profession, et on est obligé de travailler partout. J’ai fini l’école à Pristina, après quoi j’ai travaillé en Albanie, à Prague, à Sarajevo – chaque expérience m’apprend quelque chose de nouveau. »

Sarajevo, c’est là que les frères Dardenne sont allés la chercher.  » Il y a eu une première audition, ouverte à tous, à Pristina. A l’époque, je ne parlais pas du tout français, je devais juste dire: je m’appelle Arta Dobroshi, j’habite Pristina. Deux semaines plus tard, l’agent de casting m’a appelée pour me dire que les frères voulaient me voir. Ils sont venus à Sarajevo, où je travaillais au théâtre, et on a fait un essai. Et puis, peu après, ils m’ont demandé de venir à Liège pour deux jours de tournage avec Fabrizio Rongione et Jérémie Renier. »

Le test s’avère concluant, Arta Dobroshi obtient le rôle.  » C’est là que le voyage a commencé« , observe-t-elle. A savoir apprentissage accéléré de la langue et répétitions intensives pendant un mois et demi, avant le tournage. Soit, au total, cinq mois environ avec Lorna.  » J’ai essayé de me mettre dans une situation la plus proche possible de la sienne. J’étais à Liège, et je veillais à rester seule. J’ai besoin de vivre de la même façon que le personnage, parce que c’est toi, en fait: c’est ton corps, ta voix, ton esprit, tu dois juste voir comment tu vas l’habiter… » Bien aidée, en cela, par les frères Dardenne:  » Ils sont super ouverts, je me suis sentie comme dans ma famille, et je leur ai fait entièrement confiance. De la sorte, j’ai commencé à créer librement. Avec eux, tu sens pouvoir tout faire, rien à voir avec mes expériences précédentes« , s’enflamme-t-elle. Avant de souligner leur évidente communion d’esprit: » J’avais vu La Promesse et L’Enfant , et j’aimais beaucoup le fait qu’ils se préoccupent d’êtres humains qui essayent de survivre. Lorna, c’est juste une femme immigrante, qui pourrait venir d’un tas d’endroits, et a des difficultés à trouver la vie, le chemin… » Le sien, de chemin?  » Jusqu’ici, une nouvelle porte s’est toujours ouverte après la précédente… »

JEAN-FRANCOIS PLUIJGERS

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