Une expo événement au Bozar, It’s Not Only Rock’n’Roll, Baby!, dévoile les peintures, installations et dessins des grands noms de la scène rock. Une fascination pour les arts plastiques, et vice versa, qui ne date pas d’hier. D’Elvis à Oasis, le rock a toujours flirté avec les milieux arty. Flash-back.

On a tous vécu cette expérience quasi religieuse qui consiste à être englué, fasciné, paralysé par une pochette de disque. Et le vinyle nous donnait l’occasion de voir les choses en grand. Moi, c’était avec Bowie en avril 1974 et son 45 Tours Rebel Rebel, pas forcément terrible avec son papier couleur gris métal plus proche du toutes-boîtes que du glamour glacé. Pourtant, le sigle en orange de Bowie frappé d’une étoile, la photo noir et blanc du chanteur de vingt-huit ans défiant l’objectif, costume cintré, saxophone sous le bras, avait quelque chose d’unique. D’exceptionnel. Un résumé foudroyant de l’esthétique glam de l’époque. Cette sensation de définir un moment musical via un look est symptomatique des liaisons indestructibles entre rock et art qui, dès les premiers accords des années 50, vont nourrir un mythe naissant. Bien sûr, au début, on ne mesure pas d’emblée l’impact de l’image, on ne comprend pas tout de suite que les premiers clichés de Presley sont le prélude à l’installation d’une icône. C’est pourtant la photo qui capte la bouche lippue d’Elvis, sa sensualité inoxydable, son improbable sex appeal d’ex-camionneur du Mississippi. Dans l’ère de la suprématie de la radio et de la télévision naissante des années 50, la pochette de disque est le premier pas vers l’instauration du rock comme ultime objet de rêve et de fantasme.

WARHOL, ART TOTAL

Les Beatles vont institutionnaliser cette intuition. Les plus grands photographes anglais captent les Fab Four dont chaque pochette d’album dévoile un pan du mythe. Jusqu’à celle de Sgt Peppers Lonely Heart Club Band sortie le 1er juin 1967. Des répliques cartonnées de Paul, John, George et Ringo posent aux côtés d’une septantaine d’icônes (Marlène Dietrich, Dylan, Oscar Wilde, Karl Marx, Marilyn, Marlon Brando…): la mise en image est une collaboration entre le galeriste Robert Fraser et le designer Peter Blake, deux vedettes du Swinging London. Cette somme d’images pop synthétise l’idée même de célébrité. Et constitue la déclaration effrontée que le rock sixties est le compagnon naturel de la photographie, du design, de la mode, de la représentation 2D. De l’histoire de son temps. Combinaison confirmée par la cinématographie éclair des Beatles qui remet en scène, légèrement fictionnalisées, les aventures extra-musicales du groupe de Liverpool. C’est le début de la pop considérée comme vecteur vers l' »art total », principe développé par Andy Warhol à New York. En imposant la présence de Nico auprès du Velvet Underground, Warhol optimalise une machine à fantasmes. Joue sur le masculin-féminin, ajoute des projections pendant les concerts, conceptualise à mort la mélancolie dépressive de Lou Reed et ses rythmes électrocutés. Quarante ans plus tard, la « pochette à la banane » est toujours un signe d’époque. C’est aussi le temps des premiers décloisonnementsvisibles chez les pop stars: Lennon dessine avec frénésie comme pour oublier son statut dévorant de vedette en analyse perpétuelle, et c’est autour d’une expo conceptuelle qu’il tombe amoureux de Yoko Ono. Le rock popularise le logo, en fait des tee-shirts ou des pendentifs, que ce soit le Peace & Love, la Pomme verte beatlesienne ou la célèbre langue des Stones. Le rock aura même sa Bible de chevet, sa « Chapelle Sixtine » avec le Rock Dreams de Guy Peellaert, brillant peintre qui scénarise le succès dans des fresques hyperréalistes à mi-chemin du mythe et de la banalité quotidienne.

ÉPINGLE DE SûRETé

Avant d’être plagié par la mode, le rock va lui-même emprunter ses codes au rayon exotique. Les hippies, bien sûr, créent un débraillé coloré en adaptant les habitudes vestimentaires du sous-continent indien et du bouddhisme, aux conditions urbaines. Plus significativement, les punks adoptent le principe de l’arte povera à leurs fringues mais aussi à leurs pochettes de disques, leurs fanzines, leur présentation scénique. Toute l’imagerie des Sex Pistols est managée par Malcom McLaren, ex-étudiant en art, qui confie l’iconographie du groupe à Jamie Reid, designer influencé par les situationnistes. Celui-ci module les pochettes agressives et provocs des Pistols: avec l’épingle de sûreté, Reid débusque le symbole d’une génération rapiécée. Evidemment, on peut trouver l’affaire conceptuelle mais, à ses débuts tout au moins, Johnny Rotten porte des pulls troués simplement parce qu’il n’a pas un rond pour du neuf. Si Clash 1977 joue à… clacher des taches de peintures sur pantalons et chemises, c’est un peu pour faire un clin d’£il au peintre Jackson Pollock, beaucoup pour transformer des vêtements de seconde (ou troisième main) en parures flashy. Nécessité fait loi. Souvent, la pochette à elle seule, définit un groupe, voire une écurie ou un label: on pense évidemment aux couvertures heroic-fantasy de Roger Dean pour Yes et, dans un genre radicalement différent, aux finesses graphiques de Peter Saville pour Factory, maison de Joy Division. Autant que les dédales lugubres de sa musique, c’est l’imagerie de Saville, combinaison de modernisme et de romantisme désespéré, qui définit l’univers de Ian Curtis & C°. L’image peut aussi être une prison qui encapsule la musique. Bien longtemps après leurs premiers hymnes surf innocents, les Beach Boys seront toujours assimilés à une bande de plagistes californiens alors que leur pop céleste prend un tour incroyablement sophistiqué, mélancolique et même désespéré. C’est probablement unique dans l’histoire que de voir une expression artistique égalée, si pas dépassée, par son image. La coupe de cheveux de Liam Gallagher n’a-t-elle pas plus d’impact que l’intégralité de la discographie d’Oasis? Et on plaisante à peine…

TEXTE PHILIPPE CORNET

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