Arrière-saison

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Sur le nouvel album de Bon Iver, Justin Vernon réussit à résumer l’univers éclaté de ses trois premiers. À défaut de le renouveler.

La musique de Bon Iver a toujours été une entité en expansion. Pour cause. Quand elle est apparue pour la première fois, avec l’album For Emma, Forever Ago, en 2008, elle sonnait un peu comme la bouteille à la mer lancée par un naufragé solitaire. Devenu entre-temps un classique, le disque était l’oeuvre du seul Justin Vernon. L’histoire est connue: parti noyer ses emmerdes et son dernier chagrin amoureux, le musicien, alors encore complètement inconnu, s’était retiré dans un chalet perdu au fin fond de la forêt, en plein hiver, pour en repartir avec un lot de chansons folk miraculeuses. Trois ans plus tard, le disque suivant confirmait toutefois, jusque dans son titre, Bon Iver, que, s’il était mené par Vernon, le projet était bien celui d’un groupe. Une formation décidée à ne pas se laisser coincer dans la pose naturaliste du chanteur des grands espaces, préférant à la place creuser de nouvelles pistes. En 2016, Bon Iver prolongeait cette quête. Marqué par sa collaboration avec Kanye West, Vernon imagina une tapisserie sonore inédite: 22, A Million, disque magistralement tarabiscoté et torturé, pétri de dissonances électroniques. Trois albums, trois réussites. Soit un sans-faute où la réinvention perpétuelle ne cédait en rien à l’émotion, où la recherche sonore n’empêchait pas les grands frissons: le crime parfait.

À l’écoute du nouveau i, i, le premier étonnement est donc de ne pas être… étonné. Pour la première fois, Bon Iver avance en terrain immédiatement familier. Vous avez suivi Bon Iver dans toutes ses pérégrinations, ses sorties de route? i, i est un peu votre récompense, une synthèse de toutes les étapes précédentes. En intro, les 30 secondes Yi font mine d’encore expérimenter, construites sur des sons de micros restés ouverts en studio. Mais c’est pour mieux accentuer le contraste avec le falsetto apaisé de Justin Vernon. Plus que jamais, Bon Iver se présente non seulement comme un groupe à part entière, laissant par ailleurs la porte ouverte aux collaborations extérieures (on repère Bruce Hornsby, James Blake, Moses Sumney, etc.). Sur 22, A Million, cela avait donné une musique fracturée, remplie de pièces cachées intrigantes. Ici, Bon Iver a beau multiplier les couches, et continuer de truffer ses morceaux de détails atypiques (les interférences d’ Holyfields, les dissonances électroniques de Jelmore), ses morceaux se font plus directs, plus chaleureux aussi.

Arrière-saison

Ce qui devrait suffire. Pourtant, après quelques écoutes à peine, i, i semble déjà avoir épuisé ses charmes. La sincérité de la démarche n’est pas en cause. C’est juste que, parfois, elle ne suffit pas. Bien sûr, Justin Vernon n’a pas son pareil pour créer des atmosphères élégiaques, tendre des arcs émotionnels prenants, ou créer des harmonies vocales qui remuent le palpitant. Un titre comme Hey, Ma, par exemple, s’annonce déjà comme un moment fort des futurs concerts. Mais si i, i n’est jamais un mauvais disque, il marque bel et bien un temps d’arrêt. Présenté comme l’album le plus « complet » de Bon Iver, il est aussi, quelque part, le plus frustrant, comme peut l’être le dernier épisode d’une série que l’on a un peu trop attendu.

Bon Iver

Distribué par Jagjaguwar.

« i, i »

6

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