DES ENFANTS DU PARADIS AU PARIS TEL QUE LE VOYAIT LE CINÉMA HOLLYWOODIEN, ET JUSQU’À ROMY SCHNEIDER DANS L’OIL DE PHOTOGRAPHES, TROIS EXPOSITIONS S’EMPARENT DE MYTHES DE CINÉMA. VISITES GUIDÉES.

Paris est tout petit pour ceux qui s’aiment comme nous d’un aussi grand amour »… Ode à l’amour fou, que consacrait notamment cette citation empruntée à Arletty, l’inoubliable Garance, Les Enfants du Paradis compte assurément parmi les plus grands chefs-d’£uvre jamais produits par le cinéma français. Près de 70 ans après sa réalisation, en 1943, par un Marcel Carné alors au sommet de son art et de sa gloire, le film n’en finit plus de rayonner d’une beauté sur laquelle le temps ne saurait avoir de prise tant il y a là une réussite éclatante, sommet de romantisme nourri de la poésie de Jacques Prévert. Si la Nouvelle Vague n’eut pas de mots assez durs pour qualifier la « qualité française », François Truffaut n’en fera d’ailleurs pas moins une remarquable exception, à qui l’on prête cette déclaration: « Je donnerais tous mes films pour avoir réaliséLes Enfants du Paradis. « 

Venant notamment après celle consacrée au Metropolis de Fritz Lang, l’exposition que propose la Cinémathèque française s’attache judicieusement à retracer l’histoire d’une £uvre mythique, de ses préparatifs aux aléas d’une production entreprise sous l’Occupation allemande. Un nombre considérable de documents, photos, dessins, maquettes… ont été rassemblés à cet effet, qui donnent au visiteur, immergé d’emblée dans un décor à la Trauner, le sentiment de s’immiscer dans les coulisses du film, voire de se mêler aux badauds arpentant le Boulevard du Crime -du surnom donné au Boulevard du Temple en raison des spectacles qu’y donnaient les théâtres dans le Paris du XIXe siècle, et qui offre son cadre au scénario écrit par Prévert (dont l’on peut découvrir ici, parmi d’autres pièces inestimables, une version illustrée).

Véritable making of en trois dimensions, l’exposition ne néglige aucun aspect de la création, du moment où Jean-Louis Barrault en suggéra l’idée à Carné et Prévert à la Première du film, le 9 mars 1945 au Palais Chaillot, à Paris. L’intérêt en est multiple, qui célèbre le travail des auteurs, mais aussi des décorateurs Alexandre Trauner et Léon Barsacq, des compositeurs Maurice Thiriet et Joseph Kosma, ou encore du peintre et costumier Mayo -dont l’on découvre les innombrables croquis pour un casting de rêve réunissant, outre Arletty et Barrault, Pierre Brasseur, Pierre Renoir ou Maria Casarès, débutante « tyrannisée » par le réalisateur. Au passage, et outre la mise en place d’une superproduction -avec, par exemple, la construction d’un décor de 150 mètres reconstituant le fameux boulevard, flanqué de ses rues adjacentes-, c’est le détail de l’histoire tumultueuse du projet qui se dévoile, le contexte de l’Occupation n’étant pas sans incidence sur un tournage mené dans plusieurs endroits (de la Victorine à Nice aux studios Pathé de Paris et Joinville), interrompu après le départ de ses premiers financiers italiens, et l’on en passe. Carné voulait faire des Enfants du Paradis « le premier film de la paix enfin retrouvée ». Au-delà des péripéties qui émaillèrent cette entreprise au long cours -deux ans de travail-, c’est encore toute la magie qui s’en trouve ici restituée, et qui a fait du film un classique définitif. Comme souvent en pareil cas, l’exposition, que prolonge un intéressant volet consacré au parcours de Marcel Carné, est aussi la plus sûre invitation à s’y replonger séance tenante, Les Enfants étant fort opportunément réédités sur supports vidéo dans une version restaurée -incontournable.

Le Paris des fantasmes de l’usine à rêves

A quelques encablures de la Cinémathèque, l’Hôtel de Ville de Paris accueille une exposition dont le titre constitue déjà tout un programme, à savoir Paris vu par Hollywood, la capitale française ayant constitué une source d’inspiration (et de fantasmes) ininterrompue pour l’usine à rêves, quelque 800 films à la clé, bien souvent tournés… dans le confort des studios hollywoodiens. Ernst Lubitsch, qui fut un orfèvre en la matière, avec pas moins de douze films situés dans la ville-Lumière sans qu’il y ait jamais tourné un seul plan, déclarait, à ce propos: « Il y a le Paris-Paramount, le Paris-MGM, et le Paris de France. Le Paris-Paramount est le plus parisien des trois. » Manière aussi d’amener que, comme le souligne le commissaire de l’exposition, Antoine de Baecque, « Paris, dans ces films, parle autant du désir américain que de la capitale française ».

Si l’on regrettera un accrochage un brin disparate, l’exposition n’en balaie pas moins les multiples expressions de cette passion dévorante, qui a vu les réalisateurs de studios envisager la belle Française tour à tour sous ses volets historique, frivole, sophistiqué, séducteur ou encore dansé, quelques-unes d’une série de déclinaisons à vrai dire infinies; ainsi, encore tout récemment, de Martin Scorsese inscrivant Hugo dans un Paris magique, après celui fantasmatique du Midnight in Paris de Woody Allen. Photographies, extraits, documents divers, dessins, affiches, maquettes ou accessoires balisent un parcours chronologique, qui orchestre d’intéressantes correspondances -entre le Marie-Antoinette de W.S. Van Dyke, en 1938, et celui de Sofia Coppola, par exemple-, s’attarde sur la « Parisian Touch » de Lubitsch, évoque Maurice Chevalier, Français à Hollywood, ou musarde encore dans les rues parisiennes reconstituées au sein des studios MGM, à Culver City, pour des musicals de prestige notamment (les films ne seront tournés in situ qu’à partir de la fin des années 50). L’histoire est féconde, qui dessine les contours d’un genre à lui seul, le « Paris film », reflet du regard changeant de l’Amérique. Et inépuisable matérialisation de ce glamour qu’incarnera mieux que quiconque Audrey Hepburn, reine incontestée de ce Paris hollywoodien, et omniprésente ici, des créations de Givenchy pour la Ariane de Billy Wilder à la couverture du remarquable catalogue de l’exposition. Et jusqu’aux extraits de Funny Face et Charade de Stanley Donen, qui, projetés sur l’écran panoramique surplombant la Salle Saint-Jean, n’en finissent plus, irrésistibles, d’aimanter le regard des visiteurs. Un ravissement.

Le roman-photo de Romy

Romy Schneider fut, pour sa part, l’impératrice Sissi devant la caméra de Ernst Marischka, rôle de jeunesse qui fit d’elle à jamais une star. Trente ans après sa disparition, elle est aussi l’objet de l’exposition qu’accueille pour l’heure le Caermersklooster, à Gand, dans ce qui est désormais le prolongement traditionnel du festival du film de Flandre, succédant en cela à Ingmar Bergman, Jacques Tati et autre Harold Lloyd. Si ces précédents avaient, notamment, le mérite de la mise en perspective, le montage réalisé pour la circonstance par la Deutsche Kinemathek sous la direction artistique de Daniela Sannwald s’en tient, pour sa part, à une stricte chronologie décorative. Romy Schneider y est, pour l’essentiel, entrevue à travers l’objectif de photographes ayant su immortaliser sa beauté -Robert Lebeck et Franz Xaver Lederle, notamment-, en un parcours suivant les montagnes russes de sa carrière comme de sa vie intime, peu avare en drames, dont le plus tragique fut la mort atroce de son jeune fils. Le fil de l’exposition donne à voir l’éclosion d’une chrysalide, suivant son émancipation après que la jeune actrice allemande est partie à Paris sur les traces d’Alain Delon. Visconti l’engage pour jouer au théâtre dans Dommage qu’elle soit une p… , avant de la faire tourner dans Boccace 70. Après quoi, sa carrière cinématographique décolle, internationale (Welles, Preminger, Donner…) et française, qui la verra devenir l’icône du cinéma hexagonal sous la conduite de Claude Sautet en particulier, avec qui elle tournera à cinq reprises à dater des Choses de la vie, en 1969.

Il ne faudra guère attendre, cependant, pour que l’optimisme de façade ne se voile d’incertitude, la félicité affichée ne vienne se teinter d’angoisse, le profil de l’actrice laissant poindre une fêlure dont elle saura admirablement jouer à l’écran. Mais si l’exposition en rend compte, elle n’évite pas un côté roman-photo (ce que fut d’ailleurs aussi l’existence de Romy Schneider, à son corps défendant), avec ce que cela suppose de réducteur. Quelques éléments tombés du ciel (ainsi d’une vitrine retraçant sa relation avec Marlène Dietrich sans autre élément explicatif), et la traduction en un français tendance patagon de certains panneaux ajoutent à la frustration d’ensemble. Les cinéphiles se reporteront toutefois sur la boîte noire centrale qui constitue le clou de la scénographie, et où défilent des extraits de quelques fleurons de sa filmographie, comme La piscine ou Ludwig, là où divers accessoires (la robe qu’elle portait dans Katia de Robert Siodmak, l’Alfa Romeo conduite par Michel Piccoli dans Les choses de la vie…) rendent plus tangible, encore, la présence d’une artiste trop tôt partie…

LES ENFANTS DU PARADIS, JUSQU’AU 27 JANVIER À LA CINÉMATHÈQUE FRANÇAISE, RUE DE BERCY, 51, PARIS. WWW.CINEMATHEQUE.FR

PARIS VU PAR HOLLYWOOD, JUSQU’AU 15 DÉCEMBRE À L’HÔTEL DE VILLE DE PARIS, RUE DE LOBAU, PARIS. WWW.PARIS.FR/HOLLYWOOD

ROMY SCHNEIDER, JUSQU’AU 13 JANVIER AU CAERMERSKLOOSTER, VROUWEBROERSSTRAAT 6, GENT. WWW.CAERMERSKLOOSTER.BE

TEXTE JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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