Rachid Bouchareb orchestre la rencontre dedeux mondes à travers celle de deux êtres que tout séparait. En prise sur son époque, London River allie lucidité et générosité…

Au c£ur du cinéma de Rachid Bouchareb, il y a la rencontre de mondes différents, postulat à l’£uvre aussi bien dans Little Senegal que dans Indigènes, ses films les plus récents, et qui irrigue aujourd’hui London River (critique en page 30). Prenant place au lendemain des attentats terroristes qui frappèrent Londres en juillet 2005, le film suit deux personnes que tout sépare a priori, Elisabeth (Brenda Blethyn), une Anglaise bon teint, et Ousmane (Sotigui Kouyaté), un sage Africain, que ces événements tragiques vont se charger de rapprocher, au-delà de leurs différences, culturelles ou confessionnelles.

Une belle aventure humaine, et une profession de foi dans le chef d’un réalisateur, rencontré à l’occasion de la Berlinale. « L’idée qui sous-tend le film, c’est d’essayer de recoller les morceaux, malgré le drame qui se déroule. Par cela, j’entends les recoller entre ces mondes différents, ces cultures différentes, entre cette chrétienne et ce musulman. » Une façon, encore, de s’élever contre l’air du temps. « Il n’y a pas de rencontre autour de cela aujourd’hui, on est plutôt dans une ère d’affrontement, constate Bouchareb. Moi, ce qui m’intéresse dans mes films, c’est réunir deux mondes. » A cet effet, le réalisateur extrait ses deux personnages de leur ancrage respectif, pour les placer dans un contexte inédit – Londres, et le quartier de Finsbury Park, un choix qui ne doit rien au hasard. « J’avais beaucoup entendu parler de ce quartier aux actualités télévisées, en France. On évoquait le quartier musulman de Londres, les tensions, les descentes de police, et cela m’intéressait. Je m’y suis rendu pendant que j’écrivais l’histoire, et j’ai rencontré les gens. Au début, il y avait une certaine hostilité, mais je les ai convaincus que mon film ne serait en rien une mise en accusation du quartier, ni de la communauté musulmane de Londres. Le fait d’être d’origine algérienne dans ce quartier où vivent beaucoup d’Algériens m’a facilité les choses, comme celui qu’ils avaient vu mes films précédents. Ils m’ont fait confiance. »

Avec, pour effet immédiat, une immersion complète dans la réalité londonienne, qui voit le film déborder d’une énergie quasi-documentaire – « nous nous sommes installés dans le quartier, les habitants jouaient dans le film, j’ai utilisé leurs boutiques. Cela confère au film sa richesse, en même temps qu’une grande liberté. Je pouvais entrer dans n’importe quelle boutique et tourner une scène, être sur le trottoir, n’importe où. C’est quelque chose d’impossible avec un autre type de cinéma, de film, ou de logistique. » Allusion, bien sûr, à Indigènes, tourné avec des moyens autrement plus conséquents, et suivant une logique de production radicalement différente de l’approche organique de London River: « Pour une fois, je voulais faire un film dont l’histoire s’écrirait rapidement, avec un scénario pas trop épais, des espaces pour le faire en toute liberté, en 22 jours (…) Je voulais sortir du film précédent où on était 200 techniciens. Ici, il y en a dix fois moins, pour un budget dix fois plus petit, avec dix fois moins d’acteurs. Je me sens bien dans l’une ou l’autre situation: les moyens ne sont pas un plus pour réussir un film. L’argent ne compte pas, lorsqu’un film est réussi ou pas. »

Une certitude, et des questions

Démonstration éloquente à la faveur de London River, qui allie sensibilité et justesse du regard. Non sans trouver en Brenda Blethyn et Sotigui Kouyaté deux interprètes d’une profonde vérité. « J’ai écrit le film en pensant à eux – j’avais une certitude: c’était eux deux, ou rien. J’étais beaucoup plus certain de la réussite de leur rencontre, que de celle du scénario ou du film. », souligne encore Rachid Bouchareb. Aussi a-t-il d’ailleurs attendu plus d’un an afin que l’actrice puisse libérer un mois dans son planning surchargé pour rejoindre le tournage. A l’arrivée, le résultat s’avère rien moins que séduisant. A l’abri des préjugés et des amalgames, voilà un film à la ligne dramatique forte, en même temps que résolument en prise sur notre époque, appréhendée dans un mélange de lucidité et de générosité: « Ce que je suis à même de dire, c’est qu’à un moment, dans la détresse, on peut aller plus vite. Ce n’est pas évident qu’Elisabeth aurait croisé Ousmane dans un autre contexte, et vice-versa. La rencontre s’opère parce qu’il y a une obligation, et une dépendance de l’un par rapport à l’autre pour faire avancer les choses. Ce sont des choses que nous pouvons, nous, accomplir en dehors… Il y a plein de contextes dramatiques dans le monde depuis toujours, pourquoi n’essaye-t-on pas d’aller plus vite, de se réunir plus rapidement, afin de régler un certain nombre de problèmes? C’est quand même désespérant: je suis sûr que, vous et moi, qui en parlons, nous sommes d’accord. Est-ce alors parce que nous sommes si nombreux, six milliards, que l’on n’arrive pas à faire que l’on ait un monde un peu plus compréhensif, où la vie soit un peu plus respectueuse de chaque individu? »

Rencontre Jean-François Pluijgers, à Berlin.

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