Philippe Cornet
Philippe Cornet Journaliste musique

DIABOLIQUES SEVENTIES

NICK KENT RACONTE UNE DÉCENNIE DE FASCINATION ROCK, ENTRE MIMÉTISME DÉBILITANT, REVUE JUNKIE ET GRANDES MUSIQUES.

DE NICK KENT, ÉDITIONS RIVAGES (COLL. RIVAGE ROUGE), TRADUIT DE L’ANGLAIS PAR LAURENCE ROMANCE, 339 PAGES.

Pour ceux qui ont raté le cours du soir Rolling Stones, le titre Apathy For The Devil est donc un « pun on words » sur Sympathy For The Devil, chanson magnétique enregistrée par le groupe anglais en juin 1968 où, grosso modo, Jagger incarne son double fantasmé, Lucifer, dans une entreprise avouée de destruction de l’Humanité. Personnage central du livre de Nick Kent (1951), l’entité Rolling Stones est à la fois révélatrice de son coup de foudre pour le rock et incarnation d’un comportement « maléfique » qui amènera le journaliste à lécher les portes hérétiques de l’enfer. Le ver entre dans le fruit dès le 28 février 1964, quand ce fils de la classe moyenne, 13 ans à peine, assiste éberlué à la prestation des Stones au Pays de Galles,  » entouré de filles atteintes de psychose sexuelle au plus haut degré (…) d’ailleurs les Rolling Stones n’ont pas de front. Juste des cheveux, de grosses lèvres et une aura collective d’insolence dévastatrice ». Il ne sait pas encore qu’après avoir abandonné ses études, celui qui a été  » un adolescent étrange (…), lunatique, porté sur l’introspection, peu sûr de lui, d’allure assez efféminée » va fréquenter le diable en personne, Keith Richards dans le civil.

Entretemps, en juin 1972, il est entré au New Musical Express, par l’entremise d’une review du concert d’Iggy Pop et ses Stooges au King’s Cross Cinema. Jeune turc d’un magazine alors défraîchi, Kent trouve en Richards  » le mec à l’allure la plus cool du monde (…), la transformation telle qu’il n’est plus loin de ressembler au croisement entre une petite cuillère noircie et le comte Dracula ». Les placards sont bien sûr bourrés de squelettes prédateurs: cocaïne, héroïne, gloire et vanité.

Sex Pistols, drogue et rock’n’roll

Pour Kent, les drogues deviennent l’appendice obligatoire d’une très longue descente dans la maison Lucifer dont il ne sortira que début des années 90. C’est sans doute l’aspect le plus intéressant du livre, montrer comment les Stones -ou Led Zep qu’il fréquente aussi- vassalisent inévitablement les poseurs, journalistes, dealers ou mondains pris dans leur dévorante orbite. Succédant à son brillant ramassis d’articles ( The Dark Stuff, paru en français en 2002), ce bouquin de Kent n’épargne rien des calvaires du succès: dans les seventies -pas sûr que cela ait changé-, l’envers du décor pue franchement. Y compris lorsque Kent se retrouve à chanter avec l’embryon des Sex Pistols en juillet-août 1975 -avant l’arrivée de John Lydon-, soit en compagnie des délinquants Steve Jones et Paul Cook. Les dégâts en sont tout aussi brutaux: le manager Malcolm McLaren ourdit son éviction brutale et charge ensuite l’abominable Sid Vicious de régler le sort du journaliste devenu junkie avéré à coups de chaîne de vélo. Funeste coup du destin camé: Kent abritera ensuite Vicious et sa mante religieuse Nancy Spungen dans l’un de ses taudis-à-héroïne londoniens. Chronique acide d’une décennie-vampire, récit aux ingrédients pathétiques et partiellement contagieux, d’une sincérité qui fait peur -Kent ne s’épargne pas-, cette Apathie pour le diable est une B.O. d’enfer des coulisses de l' »exploit ». Si on peut dire.

PHILIPPE CORNET

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