Philippe Elhem
Philippe Elhem Journaliste jazz

Retour vers le futur – L’ouvre d’Anthony Braxton vient enfin d’être rééditée dans un luxueux coffret de huit CD. Portrait express de l’un des plus grands créateurs de l’histoire du jazz et au-delà.

 » The Complete Arista Recordings of Anthony Braxton »

Mosaïc MD 8-242 ( Sony)

Bien qu’inscrit dans la sphère du jazz, la carrière d’Anthony Braxton échappe à toutes catégorisations comme à toutes chapelles musicales. Né il y a 63 ans à Chicago, membre de l’AACM (1), le musicien reste pour beaucoup une énigme, voir un casse-tête. Afro-américain passionné de rock dans sa jeunesse, amateur de bop auquel il a emprunté l’alto de Charlie Parker, fasciné par Coltrane, Dolphy, Ayler et les musiciens de la première vague du free jazz, il a aussi subi l’influence de Dave Brubeck (avec lequel il a enregistré), Paul Desmond ou Warne Marsh – tous musiciens blancs de la période Cool, qu’il était bon de mépriser dans les années cinquante. Plus atypique encore, Braxton se passionne à partir du milieu des sixties pour les compositeurs européens du 20e siècle et tout particulièrement pour Schoenberg, Cage et Stockhausen. Il y puisera une inspiration qu’il transformera en un langage musical innovateur tout en continuant régulièrement à explorer la tradition du jazz à travers le répertoire des standards. Génie singulier que celui de ce musicien épris de mathématiques, d’échecs (son gagne-pain dans les années de dèche) et qui attribue un numéro à ses compositions qu’il illustre de dessins géométriques. Multi-instrumentiste jouant de toute la famille des saxophones (du sopranino au gigantesque saxophone basse), des clarinettes, de la flûte, du piano et des percussions, Anthony Braxton se double depuis vingt ans d’un pédagogue qui enseigne au College de Wesleyan dont il occupe désormais la chaire de musique – et d’où sont sortis quelques pointures de l’avant-garde contemporaine comme Taylor Ho Bynum, James Fei, Chris Jonas, Mary Halvorson ou Kevin O’Neil.

INVENTION MUSICALE

Qu’un label comme Arista, nouvellement créé au sein de la Columbia en 1974, ait pu en faire son artiste phare avec un contrat qui courra jusqu’à fin 1980 en dit long sur l’époque – et la nôtre. Ces sept années vont offrir à Anthony Braxton la possibilité de présenter sa musique sous toutes ses facettes (ce qu’il ne pourra faire qu’avec beaucoup plus de difficultés par la suite), du solo absolu ( Alto Saxophone Improvisations 1979), format qu’il fut le premier à expérimenter dix ans auparavant avec For Alto (Delmark), jusqu’aux quatre orchestres d’un de ses projets les plus ambitieux ( For Four Orchestras, 1978) en passant par le duo ( Duets 1976 avec Muhal Richard Abrams), le trio ( For Trio, 1977), le quartet ( Five Pieces 1975 et The Montreux/ Berlin Concerts, 1975/ 1976), le grand orchestre ( Creative Orchestra Music 1976) et deux disques atypiques: New York Fall, 1974, catalogue inaugural où il invente le quatuor de saxophones et For Two Pianos, 1980, ultime album de cette aventure où Frederic Rzewski et Ursula Oppens célèbrent le compositeur Anthony Braxton. Attendue depuis des années car jamais disponible en CD, la réédition du legs Arista vient d’être réunie en un magnifique coffret de 8 galettes argentées par le label Mosaic – spécialisé dans la documentation de l’histoire du jazz à travers ses figures connues et moins connues. Rien que de très logique finalement, puisque son fondateur, Michael Cuscuna, fut le producteur de Braxton pendant toute l’aventure du label (disparu) créé par Steve Baker.

(1) Association for the Advancement of Creative Musicians fut créé à Chicago en 1965 par Muhal Richard Abrams, Fred Anderson, Roscoe Mitchell. C’est en son sein qu’est né, entre autres, l’Art Ensemble (de Chicago). Anthony Braxton l’a rejoint en 1966.

Philippe Elhem

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