Moins connu que ses compatriotes Walker Evans, Robert Frank ou Diane Arbus, Gordon Parks n’en est pas moins l’un des narrateurs en images les plus acérés de l’Histoire récente des Etats-Unis. Une exposition à Arles et une double publication chez Actes Sud(1) viennent utilement remettre à l’avant-plan ce photoreporter autodidacte qui n’a cessé tout au long de sa longue carrière (des années 40 jusqu’à sa mort en 2006) de sortir de l’ombre la misère et les injustices. A commencer par celles qui frappent ses « frères » noirs. Ses nombreux reportages dans Life contribueront à révéler notamment la réalité de la ségrégation dans ce Sud raciste et puritain dont il est lui-même originaire, participant ainsi à cette conscientisation des esprits qui accouchera plus tard du Mouvement des Droits Civiques dont il sera logiquement aussi l’un des témoins privilégiés. Premier Afro-Américain à rejoindre la FSA (la Farm Security Administration dont les photographes sillonnent le pays pour dépeindre les conditions de vie des ruraux) et premier Noir à intégrer le staff d’un news magazine de prestige, Parks est un cas à part, qui ne se résume toutefois pas à sa couleur de peau. Journaliste engagé mais pas sectaire ni communautariste (il adoptera une solidarité sans complaisance à l’égard des Black Panthers ou de Malcolm X), il braque son objectif sur toutes les plaies, sans distinction de race ou de nationalité, se faisant aussi bien le conteur de l’existence misérable d’une famille blanche du Maine. Au-delà du choix des sujets (toutes ces zones grises que l’Amérique wasp cache sous le tapis de sa propre mythologie), c’est son approche esthétique qui marque les esprits. Ses clichés révèlent l’invisible. Avec un sens cinématographique bluffant (la patine de ses reportages dans le monde du crime à Chicago ou New York anticipe l’atmosphère louche des polars seventies), il magnifie la réalité sans la dénaturer. Jamais misérabilistes, ses images expressives réussissent à émouvoir sans verser dans le mélo. Une forme de sobriété digne, élégante et mélancolique irradie de sa pellicule, comme dans ce portrait devenu légendaire d’Ella Watson, ménagère brandissant son balais et sa serpillière devant le drapeau américain dans une parodie puissamment symbolique du non moins célèbre tableau American Gothic de Grant Wood. Aussi à l’aise avec les stars (Ingrid Bergman, Monroe, Ali…) et les mannequins (il alterne travail documentaire et shootings pour des magazines de mode!) qu’avec les caïds de Harlem ou les forçats de la mine, il capte à chaque fois l’humain derrière l’étiquette. Touche-à-tout de génie, Gordon Parks s’est multiplié. Il a été écrivain, metteur en scène et cinéaste. On lui doit en particulier le film culte Shaft (1971), première production black à Hollywood et manifeste de la blaxploitation. Une vie bien remplie donc pour un homme parti de rien qui avait compris que pour changer le monde, il faut d’abord changer les hommes…

(1) GORDON PARKS, UNE HISTOIRE AMÉRICAINE, ET DANS LA COLLECTION PHOTO POCHE, GORDON PARKS.

TEXTE LAURENT RAPHAËL

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