A 79 ans, le réalisateur, écrivain, scénariste, mime, compositeur et psychothérapeute Alexandro Jodorowsky n’a perdu ni son humour ni son mordant. Rencontre exclusive avec l’un des derniers monstres de l’art contemporain.

Inconnu célèbre, star underground, réalisateur maudit, anachronisme monstrueux, Jodorowsky traîne son nom comme un gaz pétaradant – et parfois mortel – dans les couches de la culture mondiale depuis plus d’un demi-siècle ( ci-dessous). On le rencontre à Bruxelles alors qu’il sort de la première de L’école des ventriloques dont il est l’auteur. Une comédie métaphysique à forte orientation sexuelle. L’histoire est partagée entre des marionnettes effrayantes et leurs manipulateurs guère mieux dotés. Ce récit du conflit entre l’ego et l’être intérieur est cruel et drôle. Jodorowskyen.

Focus: peut-on penser sans sexe?

Alexandro Jodorowsky: si on me coupe les bras, les jambes et le sexe, je peux penser mais d’une autre façon. Avant, j’aurais affirmé  » le sexe est important« . Mais c’est une interrogation de ton âge, ton sexe fonctionne ( sic) et c’est pour cela que tu me poses cette question. Quand on voit la vie un peu plus loin dans l’âge, on se rend compte que sexualité, émotion, intellect et action corporelle vont ensemble! On ne peut pas séparer les choses comme des objets, on est un tout…

Vous aimez la provocation!

On fait les choses et puis cela devient une provocation! Mais ce n’est pas volontaire et je parlerais davantage de liberté artistique. On ne peut pas être de culture espagnole sans frapper sur l’église catholique comme on ne peut pas être Américain sans frapper sur le bouddhisme ( rires). Ma grand-mère a été violée par un Cosaque, en Russie, donc ma mère est née d’un viol et était moitié juive, moitié russe! Moi, j’ai du sang juif, russe, mexicain, je suis rentré dans la culture européenne, je ne sais pas ce que je suis, même si j’ai deux passeports, chilien et français. Triompher à Paris, c’est facile, ce sont seulement les cinquante premières années qui sont difficiles ( rires).

Vous êtes, passez-moi l’expression, un inconnu célèbre, vos créations ne sont pas toujours identifiables…

En Italie et en Espagne, je ne peux pas sortir dans la rue sans donner d’autographe parce que je fais beaucoup de thérapie par la télévision: la psycho-magie. Il s’agit d’une application de l’expérience théâtrale pour soigner certaines névroses. Aux Etats-Unis, je suis connu pour mon film El Topo

Votre prochain projet cinématographique, King Shot, met en scène Marilyn Manson en pape de 300 ans!

Oui, c’est un film spaghetti gangster métaphysique (sic) produit par David Lynch. Marilyn Manson y joue un pape anthropophage. Manson avait aimé Holy Mountain à tel point qu’il a fait Holy Wood. Mais je ne cherche pas à embaucher les célébrités.

Pourquoi vos expériences cinématographiques ont-elles été aussi compliquées?

Parce que je suis rentré en conflit avec les producteurs: au cinéma, tout le monde a une idée, de la même façon que tout le monde a un anus! Dès 1975, j’ai voulu réaliser Dune ( Ndlr, le livre de Frank Herbert finalement adapté par David Lynch en 1984) mais les Etats-Unis ne voulaient pas le distribuer parce qu’ils se sont rendu compte qu’ils pouvaient faire du cinéma à grand spectacle, qu’ils pouvaient réaliser la Guerre des Etoiles

Comment percevez-vous l’industrie culturelle américaine?

Elle est infectée par une sorte de cachet politique: il n’y a pas un seul film qui ne soit pas une publicité pour les Etats-Unis. Ce cinéma m’amuse mais j’en sors dégoûté! Les Etats-Unis, c’est l’Empire économique, la Rome… J’aime le cinéma de Corée, de Thaïlande et même de Chine! Même si là-bas, l’art est infecté par la politique.

Cela a toujours été le cas, non?

Non, tous les grands génies ne sont pas infectés par la politique!

Picasso?

Un génie puis un vieux gaga. Le salaud de Picasso! C’est le premier grand commerçant qui a initié que faire de l’art, c’était faire de l’argent. J’ai économisé pendant des années et avec l’argent, je vais produire un film. Je suis fatigué qu’on dise qu’un film est bon parce qu’il a généré des millions de dollars. Donc, je fais un film pour perdre de l’argent.

Il faut avoir les moyens de perdre de l’argent

Non, il faut économiser. En septembre et octobre, je tournerai Psychomagic, du cinéma pour guérir! Je suis pour la ré-vo-lu-tion poétique! Je pense que l’énergie qui fait fonctionner le cerveau est collective, non seulement vis-à-vis de la race humaine mais de tout l’univers, c’est l’énergie universelle qui nous fait bouger!

L’art remplace-t-il la religion?

La religion est le grand mal de notre époque. Voir tous ces pantins qui parlent de Dieu travestis dans des costumes de prêtre me donne envie de vomir. Etre mystique, oui. Etre en contact avec la conscience divine, oui. Mais dire que Dieu est un homme ou qu’il a une barbe, c’est monstrueux. Dans L’école des ventriloques, il y a beaucoup d’enseignements ésotériques et je pose des questions comme Est-on manipulé par la société? Quelle est notre véritable nature? Il faut être ce qu’on veut et pas ce que les autres souhaitent! Je me suis trouvé à l’âge de 70 ans, avant, je cherchais…

u Au Théâtre de la Balsamine à Bruxelles du 4 au 15/03 u www.balsamine.be u http://jodorow.free.fr/jodorowsky/

RENCONTRE PHILIPPE CORNET

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