Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

LE CENTRE POMPIDOU-METZ PROPOSE DE RELIRE L’HISTOIRE DE L’ART DU XXe SIÈCLE EN REMONTANT LA PISTE FÉCONDE DE LA TÉLÉPATHIE. THÉRAPIE DE CHOC.

Cosa mentale

CENTRE POMPIDOU-METZ, GALERIE 3, 1 PARVIS DES DROITS DE L’HOMME, À 57 020 METZ. JUSQU’AU 28/03.

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Certains télescopages temporels ont le don de couper le sifflet. En 1924 surgissent les premiers encéphalogrammes -on a beau faire remonter leur invention aux découvertes de Richard Caton en 1875, il a fallu attendre les années 20 pour que le neurologue allemand Hans Berger soit le premier à amplifier le signal électrique de l’activité neuronale à travers le prisme de tracés en forme de vague. Cette année pas comme les autres est également celle d’une autre grande découverte. On la doit à André Breton, qui signe à cette date son fameux Manifeste du surréalisme. Soit, une voie d’accès alternative mais tout aussi royale à ce continent ténébreux et aguicheur qu’est la pensée. En lieu et place d’ondes alpha et bêta10, Breton entend livrer à travers l’écriture automatique et l’association libre une image fidèle du flux électrique caché derrière le front. Un objectif qu’il a défini en ces termes: « Exprimer le fonctionnement réel de la pensée en l’absence de tout contrôle exercé par la raison. »

Dans ce contexte libératoire, la télépathie et son projet de transparence psychique a des allures d’horizon indépassable pour la création plastique. Cette perspective livre aussi le sens ultime des mouvements d’avant-garde du XXe siècle, et partant leur acte de naissance. La réalité n’est pas aussi iconoclaste qu’on pourrait le croire: il s’agissait moins pour les avant-gardes de mettre fin aux codes de représentation classiques qui reposent sur l’illusion -à l’image de la peinture et de ses conventions- que d’inventer une nouvelle relation, immédiate, entre l’artiste et le spectateur. Cette concordance débouche sur un constat: la matérialisation de la pensée nourrie à la télépathie entraîne la dématérialisation de l’art. Soit deux routes qui, en se croisant, dessine le grand carrefour de la modernité et de ses héritiers.

Clarté

Tel est le propos de Cosa mentale, remarquable exposition que l’on doit au commissaire Pascal Rousseau, qui est par ailleurs professeur d’histoire de l’art contemporain à l’Université Paris-Sorbonne. Une info qui n’est pas un détail tant le parcours construit en quatre parties sur une trame chronologique se révèle didactique, sans lourdeur. Le danger était qu’un tel sujet débouche sur des transversalités incompréhensibles. Ce n’est pas le cas. La scénographie fait mesurer toute l’ampleur d’une utopie moderne imprégnée par l’idée d’une transmission directe des émotions, d’esprit à esprit. De Nam June Paik à Kandinsky, en passant par Pollock ou Haus-Rucker-Co, groupe radical emblématique de la scène viennoise des années 60 et 70, on assiste au cheminement limpide d’un art télépathique, sans aucune médiation matérielle. Les débuts sont timides. Chez Gupka ou Redon, le visiteur se mesure à des tableaux dont la vocation est d’être « pure transparence de l’état psychique de l’artiste« , comme l’écrit Rousseau. Au fil du parcours, la charge magnétique augmente. Après l’épisode surréaliste passionnant mais déjà balisé, ce sont les séquences cosmiques et immersives d’un Jordan Belson, emblématiques du goût pour la mescaline des années 60, qui marquent un nouveau jalon vers une pure confrontation expérimentale entre sujet et objet. Après les années 80, le soufflé retombe, faisant place à des parodies désabusées. Ainsi du Suisse Gianni Motti dont la performance de déstabilisation télépathique à l’encontre du président colombien Samper Pizano l’a contraint à quitter rapidement le pays. Autres temps, autres moeurs.

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MICHEL VERLINDEN

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