Les annonceurs ont toujours cherché à s’attirer l’aura des stars. Crise du disque oblige, les liens n’ont même jamais été aussi serrés. Décryptage.

1986. Le groupe de rap Run DMC triomphe avec son 3e album, Raising Hell. Notamment grâce au succès du single, My Adidas, hommage à la basket à trois bandes, que les Run DMC portent ouverte et sans lacet (à la manière des taulards, c’est plus cool). Du coup, en concert, cela ne loupe pas: à chaque fois que le trio entame le morceau, les gars dans la foule se déchaussent et agitent leurs sneakers en l’air. En Bavière, on jubile. Sans avoir demandé quoi que ce soit, la marque allemande profite d’un magnifique coup de pub. Un an plus tard, elle offrira aux rappeurs un vrai partenariat, pour plus d’un million de dollars, le premier sponsoring de son histoire à bénéficier à des non sportifs.

Ce n’est évidemment pas la première fois que musique et marques s’entendent. Avec la crise du disque, les liens sont même devenus de plus en plus étroits.

Nouveaux canaux

Les CD ne se vendent plus? Les labels se coupent en quatre pour trouver de nouveaux moyens de diffusion… Or, le plus simple reste encore le placement d’une chanson dans une publicité. C’est ce que l’on appelle la synchronisation. Les cas sont légions. Fin des années 70, par exemple, les explorations synthétiques de Jacno n’excitent pas seulement les branchés parisiens: elles entrent aussi dans l’imaginaire collectif de millions de gamins, quand le morceau Rectangle accompagne les aventures de Groquik, le gentil monstre jaune de la marque de poudre chocolatée. En 95, le Spaceman de Babylon Zoo atteint directement la première place des charts anglais, matraqué des semaines auparavant via une pub pour Levi’s… Plus récemment, on peut encore citer Ghinzu (pour la SNCF) ou le groupe français The Do, qui doit autant le lancement de sa carrière à MySpace qu’à une pub pour des cahiers. Même les superstars actuelles de la musique indé, les New-Yorkais de Grizzly Bear, se prêtent au jeu, leur tube Two Weeks venant d’être repris par la marque auto française au lion.

L’alliance entre un produit et un artiste peut cependant aller bien plus loin. Notamment en n’associant plus seulement un morceau au produit, mais carrément la star en question. Tout le monde y passe. Même Bob Dylan, héros des sixties contestataires, a donné de sa personne pour une marque de sous-vêtements féminins. Evidemment, la collaboration parfois dérape. En 89, quand Madonna suscite la controverse avec le clip de Like a Prayer, Pepsi s’empresse de suspendre les spots prévus. Dans un autre genre, Iggy Pop, héros d’un rock sauvage et décadent, a prêté son aura à une compagnie d’assurances auto. Qui refusait d’assurer les artistes. Malaise…

N’empêche, la tendance est lourde. Complètement déplumée par le téléchargement illégal, l’industrie cherche à colmater les fuites par d’autres moyens. Pourquoi dès lors se priver de la manne offerte par les annonceurs? Pedro Winter dirige le label électro Ed Banger: « Il faut ouvrir les canaux. Cela passe par les tournées, le merchandising, mais aussi des partenariats avec les marques. En essayant de faire quelque chose qui reste intelligent et créatif. » Jusqu’il y a peu, Pedro Winter était également le manager de Daft Punk. « J’ai bossé avec eux pendant 12 ans. On m’appelait Mister No, parce que je disais non à toutes les propositions. Mais les choses ont changé. Dix ans plus tard, Daft Punk a fait une pub pour Gap… »

Récemment, Ed Banger a été invité par la marque de sac à dos Eastpak à développer son propre modèle – redynamisant du coup l’image du produit. De leur côté, les confrères du label Kitsuné ont collaboré avec les vêtements Petit Bateau… En fait, la combinaison mode et musique reste peut-être la plus évidente. Comme quand la marque vintage Mont Saint-Michel propose au groupe belge Das Pop de dessiner une nouvelle ligne de pull masculine. Ou quand Converse fête ses 100 ans en s’offrant un titre inédit pondu par Pharrell Williams, en compagnie de Santogold et Julian Casablancas (des Strokes). Vous avez dit hype?

Les marques ont la main

C’est clair, les marques aident à faire vendre des disques. Elles le font même de plus en plus directement. En 2007, Bob Sinclar en a largement bénéficié, « offrant » sa musique avec un téléphone portable. Avec près de 350 000 exemplaires vendus sur des GSM Sony Ericsson, Soundz of Freedom est ainsi devenu le premier disque de platine sur mobile certifié par l’industrie musicale. Pour son dernier album, Patricia Kaas a elle conclu un contrat avec une chaîne russe de magasins de cosmétiques. Est notamment inclus dans l’accord le préachat de 500 000 disques destinés à des clients VIP… En fait, toutes les grandes maisons de disques cherchent aujourd’hui à développer ce qu’elles appellent des stratégies 360°. Chez Universal, on a même créé sa propre agence, U Think!, chargée de capter des annonceurs.

Les marques sont en effet de plus en plus demandeuses. Signe des temps, elles cherchent aussi à surfer sur la vague du participatif pour créer des mini-événements. C’est le cas, par exemple, de la vodka Absolut qui a lancé un concours pour former le nouveau groupe qui accompagnera le fantasque Tim Vanhamel (Millionaire, dEUS, Evil Superstars…). C’est encore Lexus qui, pour promouvoir son dernier modèle hybride, a organisé des rencontres entre artistes évoluant dans des genres différents. Des duos composés par les internautes – trois d’entre eux ayant pu ensuite assister à un concert privé, à bord d’une Lexus. Forcément…

Les annonceurs enfilent ainsi le costard d’organisateur de concerts. Ou mieux encore: sortent carrément leurs propres CD. C’est le cas de Starbucks aux Etats-Unis, via Hear Music, ou des magasins Natures et découvertes avec l’étiquette Vox Terrae. La plupart du temps, il s’agit de compilations maison. Chez Zadig & Voltaire, on a toutefois poussé l’aventure un peu plus loin. Au printemps dernier, le duo électro français Playground a sorti son nouvel album, Nightology, sur le label créé par la marque de mode. Qui se transforme ainsi en maison de disque. La boucle est bouclée…

Texte Laurent Hoebrechts

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Partner Content