À voir et à manger

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Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Le duo curatorial Sam Bardaouil et Till Fellrath questionne « le voir » à l’occasion de Ways of Seeing, une percutante exposition à la Villa Empain.

Ways of Seeing

Exposition collective, Fondation Boghossian, à 1050 Bruxelles. Jusqu’au 18/02.

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Dès les premiers pas dans la Villa Empain, le visiteur est happé par Ways of Seeing. Comme nous, il y a fort à parier qu’il ressentira cette impression d’immersion… Car c’est quasiment en apnée qu’on découvre une septantaine d’oeuvres se faisant écho. Leur pertinence ne fléchit pas au fil d’un parcours savamment orchestré. Bien sûr, il y a des temps forts. La description de ceux-ci excède le volume rédactionnel alloué au présent article. Peut-être est-ce mieux comme cela: à chacun de découvrir la suite sur place. On ne saurait trop encourager à le faire. Pour réaliser ce brillant accrochage, Sam Bardaouil et Till Fellrath -tandem déjà responsable de l’exemplaire Dansaekhwa, événement de 2016 ayant levé le voile sur les gestes et les formes d’une génération unique d’artistes coréens- ont pris appui sur un corpus théorique. C’est néanmoins sans lourdeur, à la façon d’un spectre, que les mots de l’écrivain et critique d’art britannique John Berger hantent le propos. Sa pensée est imparablement résumée dans le guide du visiteur: « Les artistes nous rappellent que le lien entre ce que nous percevons et ce que nous savons n’est jamais simple et que voir est un acte fondamentalement politique. » Simple et limpide. Après les mots, les gestes passent, quant à eux, par les mains des 27 artistes sélectionnés qui, de Ghada Amer à James Webb, de la peinture à la vidéo, s’appliquent à construire-déconstruire le voir.

Bien vu

Entre les deux oeuvres qui ouvrent Ways of Seeing se noue un éclairant dialogue. À droite, directement après l’entrée, une pièce fait place à un dispositif méditatif du Belge David Claerbout. The Algier’s Sections of a Happy Moment peut se comprendre comme une tentative d’épuisement du réel à travers la projection d’images, à première vue disparates, mais qui sont en réalité autant de facettes d’une scène photographiée au même moment sous plusieurs dizaines d’angles. Le mouvement entre la partie et le tout est également au coeur de To Crawl Into, installation bouleversante de Gustav Metzger (Allemagne, 1926-2017) qui invite le spectateur à se glisser à genoux sous une couverture jaune pour découvrir une photo noir et blanc imprimée sur une bâche en plastique. Prise en 1938, la scène heurte. On découvre des Juifs forcés de nettoyer une rue à Vienne après l’annexion de l’Autriche par l’Allemagne nazie. On notera que d’autres oeuvres de Metzger ponctuent l’exposition et, chaque fois, elles font mouche en déclinant un même jeu entre le visible et le caché. Le rez-de-chaussée de la Villa Empain fait également place à une sculpture virtuose de Fred Sandback (1943-2003), qui opère une incroyable segmentation, quasi sacrée, de l’espace. Et ce avec une impressionnante économie de moyens, à savoir des fils d’acryliques noirs et rouges tendus entre le sol et le plafond. Culte, la pièce trouve un écho direct à l’étage où le visiteur découvre Alta (Pink),oeuvre lumineuse de James Turrell (1943), dont on savoure la présence, hélas trop rare, à Bruxelles. Une fois de plus, on s’émerveille devant l’étonnante capacité du plasticien: faire palper la matière à partir de l’immatériel. Parmi les autres conversions du regard proposées, il est recommandé de porter une attention toute particulière au Verso (Woman Ironing) de Vik Muniz, un étrange tableau qui convoque Picasso, ou encore à Markus Schinwald, qui affuble des portraits du XIXe de prothèses alambiquées.

www.fondationboghossian.be

Michel Verlinden

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