La vie, après la mort – Le styliste Tom Ford signe un premier film étincelant, transcendé par un exceptionnel Colin Firth, homme que la mort de son compagnon plonge en plein désarroi.

De Tom Ford. Avec Colin Firth, Julianne Moore, Nicholas Hoult. 1 h 39. Sortie: 24/02.

Le premier plan de A Single Man est de toute beauté, qui voit, dans l’épaisseur ouatée d’un horizon enneigé, un homme venir déposer délicatement un baiser sur les lèvres de l’être aimé, fauché dans un accident. L’élégance feutrée du mouvement lui confère une douceur surprenante, le film glissant insensiblement dans les tourments d’une douleur indicible. Celle-ci est au c£ur même d’une £uvre qui, adaptée du roman éponyme de Christopher Isherwood, consacre le passage derrière la caméra du styliste Tom Ford. On ne s’étonnera sans doute pas de l’exceptionnel sens formel dont fait preuve ce dernier – 20 ans de direction artistique dans le domaine de la haute couture ont, à l’évidence, ciselé son regard; à quoi il adjoint la bouleversante portée du propos.

Situé à Los Angeles en novembre 1962, sur arrière-plan de crise cubaine et de paranoïa aigüe (à déclinaisons multiples, le film est aussi un plaidoyer pour la différence dans une Amérique encore figée dans ses peurs), A Single Man raconte l’histoire de George Falconer (Colin Firth), un professeur d’université à la cinquantaine élégante que la perte de son compagnon, Jim (Matthew Goode), a laissé désemparé. L’avenir en veilleuse, il s’interroge, le temps d’une journée, sur le sens de l’existence après la mort de l’être cher, en une errance parsemée de diverses rencontres, comme autant de balises tentant de percer le voile de ses incertitudes. Ainsi de Charley (Julianne Moore, étourdissante), voisine compatissante quoique tentant elle-même maladroitement de refouler son désespoir, ou de Kenny (Nicholas Hoult, troublant), étudiant au regard complice autant que scrutateur.

Exercice de style

Accompagnant le destin de cet homme, Tom Ford exécute une partition brillante, signant, dans une Amérique vintage, un exercice stylé du plus bel effet, accordant les tonalités de son film aux humeurs et sentiments de son protagoniste, en même temps qu’il intègre chaque plan à un cadre millimétré comme millésimé. Jusqu’à laisser planer sur A Single Man l’ombre bienveillante d’un Hitchcock, objet d’un hommage littéral de toute beauté, mais encore d’un Douglas Sirk, que la texture d’ensemble rappelle à maintes reprises. A cet accomplissement esthétique, le réalisateur ajoute une méditation profonde sur la perte et le deuil, embrassant, en un modèle de délicatesse et d’équilibre, la douleur de cet homme dont l’existence n’est plus que flirt avec l’abîme. C’est là, bien sûr, le prix d’un film de toute beauté en même temps que d’une fulgurante et mélancolique intensité – celle-là même qui transparaît encore de la composition exceptionnelle de Colin Firth, justement récompensé par le Prix d’interprétation à la Mostra de Venise. Quant à Tom Ford, ce premier film apporte l’étincelante démonstration que derrière l’icône de la mode se dissimulait un cinéaste au talent incandescent. A défaut, peut-être, de vie après la mort, il y a, en tout cas, une vie après la mode…

On lira aussi les interviews de Colin Firth et

Nicholas Hoult dans Weekend.

Jean-François Pluijgers

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