DE J.C. CHANDOR. AVEC OSCAR ISAAC, JESSICA CHASTAIN, DAVID OYELOWO. 2 H 05. SORTIE: 04/02.

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Un joggeur déroule ses foulées dans un alignement désert d’entrepôts qu’illumine la pâle lumière d’un matin d’hiver. Face à lui, Manhattan, et le monde, qu’il s’emploie à conquérir, seul ou presque. Cet homme, c’est Abel Morales (Oscar Isaac), immigré latino bien décidé à accrocher sa part de rêve américain. Avec sa femme Anna (Jessica Chastain), la fille d’un gangster du cru, il dirige une petite entreprise de fioul de chauffage qu’il entend faire prospérer, en artisan honnête qu’il est d’un capitalisme bien assimilé. Et ce ne sont pas les opportunités qui manquent en cette année 1981, la plus violente, statistiquement, dans l’histoire de New York, guettée par la décrépitude -ainsi d’un terrain équipé de réservoirs, idéalement situé en bordure de l’East River, à Brooklyn. Il y a là, à portée d’emprunt, le gage de l’expansion future de son business. Mais si Morales a l’ambition bardée de principes, ceux-ci vont rapidement se heurter à la noirceur de la réalité, ses camions de livraison étant l’objet de braquages à répétition tandis qu’un procureur tatillon (David Oyelowo) met le nez dans ses affaires, sans même parler des menaces dont lui et ses proches sont bientôt l’objet.

Ambiguïté salutaire

Deux films, Margin Call et All Is Lost, avaient suffi à imposer J.C. Chandor comme un cinéaste qui compte. A Most Violent Year achève d’en faire un auteur majeur, à l’univers aussi référencé qu’éminemment personnel pour le coup. De fait, s’inscrivant dans la longue tradition du polar, ce troisième opus titille l’imaginaire cinéphile: on songe bien sûr à Sidney Lumet (l’ombre de Serpico, en particulier, plane sur le film par Oscar Isaac interposé, l’acteur retrouvant ici l’intensité d’Al Pacino); on pense aussi à James Gray, pour la façon dont Chandor tisse une toile inextricable, non sans filmer New York avec une singularité rappelant celle de l’auteur de Little Odessa; et l’on pourrait convoquer d’autres sources d’inspiration, plus ou moins diffuses. Pour autant, A Most Violent Year s’inscrit limpidement dans la continuité des précédents films du cinéaste, lequel continue de passer le rêve américain au scalpel, tout en confrontant l’intégrité morale de ses protagonistes à la réalité d’un capitalisme exacerbé. Maître sujet, que Chandor traite sans complaisance, mais sans plus de manichéisme, pour aller questionner les fondements de la société américaine dans leur ambiguïté même. Un cap salutaire, maintenu par la grâce d’une écriture affûtée, s’insinuant au-delà des apparences pour entraîner le spectateur au coeur d’un drame dense et suffocant, porté par une distribution étincelante -Jessica Chastain n’est certes pas moins impériale qu’Oscar Isaac dans un emploi kaléidoscopique. A quoi le réalisateur ajoute la manière, portée par une mise en scène ample et opératique, posant impeccablement ses multiples points de suspension pour culminer dans un final brillant. Soit un thriller d’exception doublé d’un moment rare de cinéma (néo)classique dont l’onde embrasse le spectateur pour une longue étreinte. Magistral et incontournable.

JEAN-FRANÇOIS PLUIJGERS

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