REVENU DE DEUX CRASHS MAJEURS, DOMINIQUE DALCAN FAIT UNE ALLÉCHANTE PROPOSITION DISCOGRAPHIQUE SOUS FORME D’HIRUNDO, ALBUM POP ULTRA-FLUIDE.

Il a gardé les épaules larges de ses années d’athlétisme et toujours cette allure singulière d’homme glabre jusqu’à l’étrangeté, les yeux charbonneux et plissés dans les sourires. Un peu népalais aussi. A 50 ans cette année, Le Danseur de java se fait hirondelle, titre -en latin- de son album, le premier depuis huit ans et un disque alors signé sous le pseudo Snooze, sa version plus électronique. Fin janvier, ce licencié en Communication et Lettres Modernes, né à Beyrouth en 1964, était à Bruxelles, là où, professionnellement, tout a commencé il y a 20 ans avec le label Crammed.

La première impression est que ta voix a changé, grandi, mûri: elle est plus confortable, plus séduisante que sur tes premiers albums. Correct?

Je crois que c’est l’expérience de vie qui fait cela: il n’y a pas eu de technicité, d’ouvrage, de cours de chant particuliers. Le spectre est plus aérien et je suis content d’avoir cette ouverture désormais. Cette fluidité, cette homogénéité qui filent bien sont là parce que j’ai essayé de mettre le fond avant la forme: chaque chanson est un cadre qui va être rempli ou non, orchestré ou pas, et la mise en oeuvre s’est faite autour du chant, la musique lui faisant de la place. Du coup, tout file via la narration et des textes assez introspectifs et autobiographiques, d’écriture en strates. Comme les photos de pochette, prises dans le désert tunisien: on y est face à nous-mêmes, comme en altitude, il y a un grand silence, et quand le vent se calme, on entend son coeur battre.

On se dit aussi que la qualité de tes productions aurait pu t’amener à une carrière plus exposée, peut-être à la Daho!

Le succès est là où tu veux bien le mettre, en-dehors des mètres étalons du business: d’autres, plus valorisants, existent. Je ne regrette aucun de mes choix, j’ai toujours eu une appétence pour la musique, assez éclectique, donc un travail de mixeur et de passeur, de mélange d’influences. Voir comment je pouvais la recracher, comme sur Cannibale (1994) produit par Burgalat et arrangé par David Whitaker où je répondais à mes fascinations de gamin pour Scott Walker. Sur Ostinato, je laissais parler un côté latin, etc. J’ai brouillé les pistes.

Dans La Clope au bec, il est question de podium, de compétition…

Cette chanson dit qu’il n’y a pas de compétition dans la musique et qu’en tout cas, je ne suis pas un compétiteur: les autres sont sur les marches du podium, moi je suis ailleurs. Cela parle aussi des courses de fond que je faisais quand j’étais gamin. Jusqu’à l’ écoeurement. Je n’ai pas éprouvé ce dégoût pour la musique même si j’ai eu une absence (il rit).

On peut en parler de ces « crashs » de santé? Voir s’ils ont changé ta perception?

Oui, il y en a eu un en 2006 (infarctus, ndlr) et en 2010, une déprime. Je ne veux pas vraiment en parler parce que ce n’est pas le propos. Cela explique quand même pourquoi j’ai tourné le dos à la musique en tant que frontman, travaillant pour d’autres. On peut être traversé par des doutes, et penser que ce que l’on fait n’a pas assez de sens ni de force pour être délivré, et puis à un moment, cela commence à déborder et on doit faire un disque frontal,

classique, néo-classique, dans une époque où tout se recycle, comme chez Lavoisier. Sans forcément une dose massive d’électronique et beaucoup d’ornements. Du coup, ce disque sans clinquant devient un pari.

Quand on sort d’un crash de santé, c’est comme dans les films? « On aime plus la vie« ?

(rires) Non parce qu’on refait toujours les mêmes erreurs. L’histoire se répète de manière politique, sociale et humaine, en effet. Les trucs visqueux, les doutes, reviennent. J’ai seulement moins d’appréhension sur les détails du quotidien et puis quand on a trois gamins, cela remet en place, cela galvanise. Sinon, on ne retient rien parce qu’on a une mémoire défaillante, surtout moi, qui manque de phosphore: fallait que je mange plus de poisson, petit (sourire). Faut assumer ses actes. Pendant ces temps sans musique, j’ai fait pas mal de photos, et me suis intéressé aux installations.

C’est ton côté Brian Eno?

J’avais acheté ses Stratégies obliques, un jeu de cartes qui permet de changer notre point de vue sur les choses. Quand j’étais coincé, ces petites cartes me permettaient de partir ailleurs, je m’en suis servi sur plusieurs disques. Désormais, les chanteurs sont aussi des businessmen, des Community Managers. Certains le font à fond, comme dans l’art contemporain: des mecs comme Damien Hirst ou Jeff Koons qui travaillent avec des dizaines de personnes. Les mecs à la Renaissance y étaient déjà: Dürer inventait sur une plaquette de bois puis dupliquait! Le Titien c’est pareil: il ne faisait que les visages, et ses petites mains peignaient les fonds.

RENCONTRE Philippe Cornet

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