Entre réalisme sensible et intelligence aiguë, le jeune cinéaste américain Ramin Bahrani nous offre l’une des plus remarquables démarches cinématographiques du moment.

Il s’est révélé avec des films de fiction ancrés dans la réalité, riches dramatiquement et interprétés par des non-professionnels, issus de la « vie réelle ». Loin du style « reportage » d’autres films de la nouvelle tendance réaliste, Man Push Cart et Chop Shop montraient une grande aisance formelle associée à une sensibilité extrême pour les enjeux humains. Le jeune (33 ans) Ramin Bahrani confirme avec Goodbye Solo qu’il est bel et bien l’un des talents à suivre dans le paysage du cinéma indépendant. Cet Américain d’origine iranienne a vu son nouveau film remporter le Prix de la Critique du Festival de Venise. Une récompense venant s’ajouter à bien d’autres, déjà, pour celui dont les allures de premier de la classe ne l’empêchent pas de filmer les réalités sociales les plus dramatiques avec vérité. A l’écouter parler, on constate que chez lui, comme dans son £uvre, la réflexion (intense) n’est jamais obstacle à l’émotion (non moins prenante)…

Dans la tendance contemporaine au mélange de fiction et de réalité, vos films offrent un regard très particulier. Pouvez-vous expliquer comment votre approche personnelle s’est développée?

Dans mon enfance et avant de me tourner vers le cinéma, je ne cessais de peindre et de dessiner. Mais je ne peignais et ne dessinais que des gens, des choses, des lieux, que je pouvais regarder réellement et ensuite traduire en une image de style figuratif – expressionniste. Je n’ai jamais fait de peinture totalement réaliste, je n’ai pas non plus fait de peinture intégralement tirée de mon imagination… Quand j’ai commencé à faire des films, j’ai tout de suite su que cela ne pourrait qu’être dans le même esprit, avec la même approche: voir, et puis mêler à ce que j’ai vu mes propres angoisses, mes propres impressions de la réalité.

Il y a dans Goodbye Solo des touches d’humour s’inscrivant dans un récit d’essence très sombre…

De la drôlerie, de la douceur, de la chaleur, au milieu de quelque chose de fort grave. J’aime la tension qui naît du rapport entre ces éléments parfois contradictoires. J’aime blaguer quand je suis avec des amis. Mais quand je suis seul, je reste très sérieux. J’essaie de plus en plus de mélanger ces deux aspects de ma personnalité dans mes films. De la même manière, j’aime aussi mélanger fiction et documentaire. Je ne sais pas vraiment, au fond, lequel est le plus réel des deux. Le plus important, c’est la vérité émotionnelle. L’Ange exterminateur de Bunuel n’a rien de réel, et pourtant, quand mon professeur d’espagnol au lycée l’a projeté en classe, il m’a immédiatement paru porteur d’une vérité intense!

Vos films ont tous en commun d’explorer intensément les relations entre les personnes et les lieux. Ces derniers étant presque des personnages en soi…

Nous sommes tous, dans nos vies quotidiennes, marqués par cette intera-tion entre l’humain et son envi-ronnement direct. Mes films expriment cette évidence avec une force plus grande car les lieux choisis ont une dimension spectaculaire. Mes 3 films ont en commun de poser la question de la liberté humaine, et de ce qui la menace. Les personnages peuvent prendre eux-mêmes leur propre liberté en otage, leur environnement peut aussi le faire, et enfin certains éléments mystiques, incompréhensibles en apparence, les piègent parfois aussi. Dans Goodbye Solo, il y a bien sûr le taxi, les motels, et la montagne qui attend, mais aussi des visages qui deviennent paysages. J’ai passé plus de 6 mois à préparer le film, dans la voiture d’un authentique chauffeur de taxi, à repérer puis choisir chaque décor réel qui correspondrait au statut social, économique, des personnages.

Goodbye Solo évoque l’amitié de manière très émouvante…

C’est un film d’amitié masculine dépourvu de toute connotation homosexuelle. Une chose rare! Et quand les deux hommes sont rejoints par une gamine (la fille de la compagne de Solo, NdlR), cela forme comme une espèce de famille, 3 générations composant une famille d’élection, une famille choisie, éphémère et d’autant plus précieuse pour ses membres. La poursuite de son propre rêve (Solo veut devenir steward dans une compagnie aérienne) passant par l’aboutissement, même tragique, de celui de William, le vieil homme qui a décidé de mettre fin à ses jours et qu’il souhaite pourtant, initialement, dissuader de commettre l’irréparable.

Rencontre Louis Danvers

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