De Jia Zhang Ke. Avec Joan Chen, Zhao Tao, Lu Liping. 1 h 47.

zzVoici quelques années, Jia Zhang Ke nous confiait que s’il tournait des films, c’était avant toute chose  » pour montrer la Chine qui change, à travers ses habitants et ses paysages, une Chine en pleine transformation et dont le cinéma pourra encore témoigner lorsqu’elle ne sera plus« . Le réalisateur de Platform, The World et Still Life poursuit cette vocation en mode majeur avec le très beau 24 City. Un film aussi profond qu’émouvant, que son auteur a situé aux confins du documentaire et de la fiction.

Nous sommes donc à Chengdu, chef-lieu de la province du Sichuan. Cette ville est vue en Chine comme « le centre de l’Ouest du pays ». La plupart des pandas vivant encore en liberté habitent les hauteurs. Le plateau agricole fit des lieux le « grenier » de la Chine, et l’industrie – notamment sidérurgique – s’y est développée, augmentant l’importance de la région pour l’ensemble du pays. La sidérurgie, justement, est au centre de 24 City. Le film s’attachant à retracer l’évolution de l’aciérie 420, des années 50 à nos jours où elle se retrouve démantelée pour céder la place à… un complexe hôtelier de luxe. Tel un pur documentaire, le film commence par l’interview de travailleurs narrant leur expérience des lieux et de l’histoire de l’entreprise. Les souvenirs s’égrènent, caressant l’idéalisme des premiers temps, l’esprit collectif et ses espoirs manipulés par un pouvoir central faisant du patriotisme économique l’instrument de la plus grande productivité possible. Peu à peu, par-delà une nostalgie paradoxale mais bien réelle, une certaine amertume vient à s’exprimer. Car les temps changent, pour l’usine 420 comme pour la Chine en général. Le film aussi change, à mesure que Jia Zhang Ke invite des acteurs professionnels à investir l’image pour offrir en partage une mémoire d’autant plus fuyante qu’on ne sait plus si elle est authentique ou imaginaire. Peut-être les souvenirs du personnage campé par Joan Chen ( The Last Emperor, Lust Caution) sont-ils en fait réels et livrés à son interprétation. Peut-être aussi certaines anecdotes évoquées par de vrais témoins ont-elles été « soufflées » par le cinéaste…

Loin de déforcer 24 City, ce doute relatif mais quasi permament le replace en fait au c£ur du cinéma, fabrique de réalité quand il produit de la fiction, et matrice à fiction alors même qu’il recueille des témoignages réels. Et quand de jeunes protagonistes nous confient leurs envies de départ, de réussite matérielle, tout en affichant le désir de ne pas briser ce qui reste des rêves de leurs aînés, l’émotion qui circule est affranchie de certitude, et d’autant plus prenante. Cinquante ans d’histoire de la Chine sont bel et bien passées dans les confidences (organisées ou pas) de quelques personnages. La vérité, humaine celle-là, qu’expriment ces derniers, nous hante longtemps après la dernière image du film.

L.D.

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