Critique | Livres

Vous non plus vous n’aviez jamais entendu parler de Gabriel Josipovici? Découvrez son formidable «Cimetière à Barnes»

Gabriel Josipovici déploie une architecture diabolique dans son roman Le Cimetière à Barnes. © Getty Images 2018 Roberto Ricciuti

L’écrivain anglais Gabriel Josipovici propose avec son Cimtière à Barnes, un récit qui déraille, aux phrases courtes et tranchantes.

Le Cimetière à Barnes

Roman de Gabriel Josipovici. Editions Quidam, traduit de l’anglais par Vanessa Guignery, 136 pages.

La cote de Focus: 4,5/5

Pour être honnête, on n’avait jamais entendu parler de Gabriel Josipovici. Romans, pièces de théâtre, essais… L’Anglais est pourtant –on s’est renseigné– un écrivain à l’œuvre bien fournie. C’est après avoir lu sur Facebook les injonctions conjuguées de l’auteur Eric Pessan et de l’éditeur (mais aussi auteur) Jean-Hubert Gailliot (des éditions Tristram) à lire toute affaire cessante Le Cimetière à Barnes, dernier ouvrage de Josipovici traduit en français, qu’on s’est décidé à combler cette lacune. Pessan parlait de «récit qui déraille», Gailliot expliquait s’être mis à le relire «pour mieux comprendre comment c’est fait». Tous deux martelaient en chœur que Nina Allan était très fan. Comment lutter?

Le texte est dédié au traducteur français Bernard Hoepffner, emporté par une vague au pays de Galles en 2017. Lui aussi traducteur, le héros anonyme du Cimetière à Barnes confesse être traversé par «des fantasmes de noyade»… D’entrée, un trouble léger mais durable s’installe, et ne fera qu’amplifier au fil de la lecture. «C’est seulement quand on fait les choses machinalement, disait-il, qu’on a une chance d’être surpris. Et qu’est-ce que la vie sans surprises?», interroge le narrateur à propos de l’énigmatique personnage principal du livre. Car ce dernier vit seul à Paris, et a mis en place une série de routines rassurantes. Peu à peu, on apprend qu’il eut une femme, avec laquelle il vivait en Angleterre. Les circonstances ne seront révélées que plus tard, mais c’est après la mort de celle-ci qu’il s’exilera à Paris. Puis, sans prévenir, voici que débarque une seconde femme; avec laquelle il vécut au pays de Galles…

Comme un vieux vinyle rayé, le récit, relecture fantaisiste d’Orfeo, opéra à trois voix de Monteverdi, va doucement «dérailler», donc: les phrases courtes et tranchantes se répètent, on passe de plus en plus rapidement de Paris à l’Angleterre, puis au pays de Galles, comme s’il était question de réalités parallèles indépendantes les unes des autres. On doute de tout: cette première femme, que le héros s’ingéniait à suivre furtivement comme un tueur en série suivrait sa prochaine victime, a-t-elle réellement existé? Quid de la seconde, si bavarde et si différente de lui? Mais on n’ose en dévoiler plus, de peur de gâcher l’expérience singulière procurée par ce texte pareil à une cathédrale chancelante à l’architecture diabolique.

M.R.

Un autre roman qu’on a aimé: La Colonie

D’Annika Norlin. Editions La Pleuplade, traduit du suédois par Isabelle Chereau, 576 pages.

La cote de Focus: 3,5/5

Emelie s’étourdit dans le travail, s’oublie dans les soirées et, surtout, ne laisse personne s’approcher d’elle. Jusqu’à s’effondrer. Alors qu’elle tente de retrouver un semblant d’apaisement au cœur de la campagne suédoise, elle rencontre une étrange communauté, un petit groupe de sept personnes que tout oppose à première vue, qui s’est inventé un petit havre de paix, prônant une fusion organique avec la nature, au pied d’un grand sapin qui abrite son sommeil comme son rêve éveillé. Aux côtés d’Emelie, on infiltre peu à peu cette colonie qui a tout d’une utopie, résolument déconnectée des maux de la vie moderne. A un rythme échevelé malgré sa consistante longueur, aidée par des chapitres courts, et une multiplication de voix et de points de vie, Annika Norlin livre dans La Colonie une réflexion drôle et pleine de vivacité sur la possibilité d’une communauté autogérée. Quand on veut se bâtir un paradis terrestre, vaut-il mieux garder à l’esprit que l’enfer, c’est les autres, ou qu’il est pavé de bonnes intentions?

A.E.

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