Nos journalistes littérature ont fait le point sur 2025. Voici leurs tops 10 des meilleurs romans sortis cette année, avec leurs critiques en lien.
Le Top 10 de Laurent Raphaël

1. La Maison vide, de Laurent Mauvignier (Les Editions de Minuit)
Couronné sans discussion par le prix Goncourt, La Maison vide a marqué 2025. A partir d’objets retrouvés dans la maison familiale de La Bassée, Laurent Mauvignier remonte trois générations, redonnant chair à ses aïeules, aux silences, aux violences sociales et historiques qui les ont broyées. Sans intrigue linéaire, porté par une prose ample et pudique, ce roman du temps long explore la circulation souterraine des blessures jusqu’à tenter d’éclairer le suicide du père. Une œuvre exigeante, profonde et bouleversante.
2. Le Monde est fatigué de Joseph Incardona (Finitude)
Dans ce récit postmoderne, Joseph Incardona épouse la mélancolie et la rage froide d’une sirène contemporaine, Êve, femme mutilée devenue performeuse aquatique pour les ultrariches. Elle vend du rêve mais cache ses blessures. Elle joue le jeu des puissants pour mieux fomenter sa vengeance. Entre fable moderne et roman noir, l’auteur suisse capture un monde désenchanté obsédé par l’illusion et aveugle à la souffrance du reste de l’univers. Electrisé par une écriture fluide, burlesque et incisive, un livre puissant et implacable.
3. Un perdant magnifique, de Florence Seyvos (L’Olivier)
Florence Seyvos brosse le portrait touchant et nuancé de Jacques, beau-père fantasque et toxique, à travers le regard bienveillant de sa belle-fille adolescente. Entre Le Havre des années 1980 et les affaires africaines de cet homme doué pour échouer, le roman mêle cocasse et tragique, avec en toile de fond cette mélodie discrète qui accompagne les élans et les fragilités de la jeunesse. Une œuvre délicate et vivante, qui transforme le quotidien en roman et le désordre en poésie. Sublime.
4. James de Percival Everett (L’Olivier)
Percival Everett ose une relecture audacieuse des Aventures de Huckleberry Finn, racontée du point de vue de l’esclave Jim. Entre satire burlesque, road trip haletant le long du Mississippi et réflexions morales percutantes, James met au jour la cruauté et l’absurdité du racisme américain. Subtil, drôle et politique, le récit loue la dignité, la ruse et l’humanité de son héros, tout en ridiculisant les complices du système esclavagiste. Un petit bijou moraliste et littéraire.
5. Les Forces, de Laura Vazquez (éd. du Sous-sol)
De l’enfance à l’âge adulte, la narratrice de ce roman d’apprentissage vertigineux et poétique traverse les strates sociales, dialogue avec Rousseau, Kant ou Simone Weil et explore bars lesbiens, sectes et montagnes. Entre odyssée politique et quête mystique, Laura Vazquez décortique le réel, questionne les normes et célèbre la condition humaine dans une langue organique, vive et bouleversante, offrant un roman à la fois intime et universel, à lire à voix haute pour en saisir toute la puissance. Un véritable tour… de force.
6. Rendez-vous ici, de David Nicholls (Belfond)
A 38 ans, Marnie vit seule à Londres. De son côté, Michael endure le célibat à York. Forcés de partager une randonnée au long cours, ils se découvrent peu à peu complices. Humour british, dialogues piquants et portraits savoureux d’une Angleterre rustique s’invitent dans cette romcom maligne qui évite les clichés du genre. En route, le tandem pimente son flirt maladroit d’autodérision et de métaphores caustiques, au diapason d’une météo grincheuse. Une lecture aussi pétillante qu’irrésistible. Ce n’est pas la destination qui compte mais le chemin…
7. Abel, d’Alessandro Baricco (Gallimard)
A bout de souffle le western? Alessandro Baricco prouve qu’on peu encore le réinventer. Abel Crow, pistolero légendaire, a appris l’art du tir avec un maître… aveugle, plus porté sur l’intuition mystique que la technique pure. Il a connu son lot de violence, d’exploits, d’exils, d’amours et de rencontres surnaturelles, fertilisants de ce récit qui transcende la conquête de l’Ouest pour explorer les sentiers de l’introspection, de la spiritualité et de la sagesse ancestrale. Un post-western métaphysique sublime, qui propulse ce genre éculé dans une dimension supérieure. Pas sûr que John Wayne aurait pu endosser le rôle…
8. La Nuit ravagée de Jean-Baptiste Del Amo (Gallimard)
Années 1990, banlieue pavillonnaire de Toulouse. Cinq ados sont irrésistiblement attirés par une maison abandonnée du lotissement. Une maison hantée: leurs peurs, désirs et frustrations s’y matérialisent. Soleil noir dans un univers cerné d’ennui et de secrets familiaux douloureux, la bâtisse semble les aspirer chaque jour un peu plus pour les confronter à la réalité qu’ils désirent ou redoutent. Horreur à la Carpenter, dialogues acérés et tensions sexuelles se télescopent dans ce roman d’initiation vibrant, drôle et terrifiant, qui n’est pas sans rappeler le savoir-faire d’un Stephen King.
9. Toutes les nuances de la nuit, de Chris Whitaker (Sonatine)
Huit cents pages en apnée. Toutes les nuances de la nuit démarre comme un polar classique –un ado enlevé, une petite ville sous tension, un tueur en séries…– puis bifurque sans cesse. Patch, survivant marqué à vie, s’accroche au souvenir incandescent de Grace, rencontrée dans l’obscurité. Des êtres cabossés en quête de vérité entrent dans le champ à leur tour. Thriller, romance, récit d’apprentissage: Chris Whitaker mêle les genres, étire l’intrigue sur 30 ans et transforme une obsession en expérience sensorielle, intense et bouleversante. Le grand roman américain de l’année est l’œuvre d’un Britannique.
10. Mauvais élève, de Philippe Vilain (Robert Laffont)
Transfuge de classe, Philippe Vilain livre un récit édifiant sur sa jeunesse. Né dans une cité industrielle normande et promis à un destin tout tracé, il s’affranchit au contact de la littérature et de la philosophie. Une rencontre inattendue accélérera sa mue. Il devient l’amant d’Annie Ernaux après plusieurs mois de correspondance. Une relation asymétrique, par la différence d’âge et de milieu social, que la future prix Nobel racontera sous un jour peu flatteur dans Le Jeune Homme. Vilain lui répond ici avec élégance, la même qu’il déploie tout du long pour évoquer son parcours et le désir irrépressible de se réinventer. Un régal.
Le Top 10 d’Aurore Engelen

1. Les Forces, de Laura Vazquez (éd. du Sous-Sol)
Il semble presque impossible, à tout le moins superflu de tenter de résumer Les Forces, deuxième roman de Laura Vazquez, qui relève plus de la transe que du récit, comme si sa lecture relevait d’une forme de possession, nous plongeant dans l’univers fantasmagorique de son autrice, où l’intime et le politique s’entrechoquent dans une forme furieusement émancipée qui tisse en son sein tout un monde de pensées propres ou empruntées, une odyssée mentale tranchante comme l’éclair qui traverse sa couverture.
2. La Maison vide, de Laurent Mauvignier (éd. de Minuit)
Lire La Maison Vide, c’est suivre le lit d’un fleuve ample et majestueux, oublier les heures et se laisser porter par le rythme posé de ce roman qui prend le temps d’explorer les anfractuosités des destins qu’il déploie, dans une langue généreuse qui s’éprouve dans la longueur singulière de phrases paragraphes, voire chapitres, qui arpente les zones d’ombre de l’histoire familiale pour créer des ponts et imaginer les (dé)raisons et les passions qui présidèrent aux destins contrariés d’une lignée de femmes tourmentée.
3. Je vous demande de fermer les yeux et d’imaginer un endroit calme, de Michelle Lapierre-Dallaire (La Mèche)
Avec ce deuxième roman, l’autrice québécoise signe un audacieux récit à vif d’amour filial qui fascine autant qu’il bouleverse, un texte incendiaire où elle partage sans fard les tourments, et les joies, qui l’habitent depuis l’enfance. Une histoire d’amour, et une histoire de désir incestueux, celui d’une fille pour sa mère, qui plonge l’enfant dans un désarroi profond, un «désir indicible» qui va pourtant être mis en mots dans un livre d’une âpreté folle, plongeant le lecteur dans les tréfonds de sa psyché en ébullition.
4. Mon vrai nom est Elisabeth, d’Adèle Yon (éd. du Sous-Sol)
Le succès surprise de l’année n’en est pas vraiment un, tant il s’inscrit dans un courant puissant de la littérature contemporaine, celui de l’enquête familiale. Riche de sources et de formats divers, le texte tente de remplir les «vides immenses» d’une histoire parcellaire, dont les échos hantent une descendance qui a reçu en héritage une colère que l’on a par confort qualifiée de folie, l’autrice mettant en lumière la violence médicale et institutionnelle dont les femmes qui n’entraient pas dans les cases furent longtemps l’objet.
5. A quatre pattes, de Miranda July (Flammarion)
Avec A quatre pattes, la fantasque Miranda July imagine une comédie échevelée aux accents autofictionnels sur la crise de la quarantaine d’une artiste qui embarque dans le plus court road trip de l’histoire du road trip , et livre en passant «le» roman de la périménopause, un de ces textes qui dessillent, et changent imperceptiblement notre vision sur le monde, une sorte de livre de développement hyperpersonnel, qui n’hésite pas à être cru et tendre à la fois, d’une honnêteté confondante et d’une drôlerie communicative.
6. Tressaillir, de Maria Pourchet (Stock)
Michelle voit la fin de son couple arriver, alors elle décide de «défaire sa vie», et de partir. Maria Pourchet envisage la rupture non pas comme une coupe sèche, mais comme un arrachement douloureux qui s’inscrit dans un temps long. Le départ se mue en retour, dans la forêt vosgienne, berceau des origines et de la peur première qui dicte sa loi à l’héroïne. Partir, ça s’éprouve et ça s’apprend, semble nous dire Tressaillir, roman fulgurant à la langue vibrante, parfois drôle, souvent confrontant, et finalement vivifiant.
7. L’Inventaire des rêves, de Chimamanda Ngozi Adichie (Gallimard)
Les héroïnes de ce récit polyphonique contribuent par leurs vécus singuliers à donner de la chair à des histoires particulières, qui parlent de bleus du corps et de l’âme, d’amour et d’amitié, de racisme et des faux progressismes, des injonctions qui empêchent et des assignations dont on se libère. L’Inventaire des Rêves dresse un portrait lucide et caustique des deux pays que l’autrice connaît bien, le Nigeria et les Etats-Unis, où être une femme noire expose à une somme de discriminations affrontées crânement dans la sororité par ses flamboyantes héroïnes de fiction.
8. Kolkhoze, d’Emmanuel Carrère (P.O.L)
«La Russie, pour le meilleur ou pour le pire, est pour moi une affaire de famille», lit-on dans Kolkhoze, ample roman déclenché par la mort de la mère, qui est aussi celle d’une vision du monde. Un recensement virtuose d’ancêtres dont les destinées collent à celle du continent, mené tambour battant par Carrère, passé maître dans l’art de raconter des histoires, avec ce qu’il faut d’anecdotes, de détours et de réflexions personnelles pour rendre fluide une généalogie complexe. Quand le roman d’histoire familiale devient roman historique, brûlant d’actualité.
9. Jeux de lumière, de Daniel Kehlmann (Actes Sud)
Après l’arrivée au pouvoir d’Hitler, G.W. Pabst, célèbre réalisateur autrichien aux origines du cinéma expressionniste s’exile en France, puis aux Etats-Unis. Mais contre toute attente, il revient en Autriche juste avant la déclaration de guerre, et finit par accepter de travailler pour le régime nazi, avant de finir sa vie réhabilité mais hanté par le souvenir de son chef-d’œuvre, dont les bobines ont disparu. Un roman choral vibrant qui interroge, notamment, les limites de l’amour de l’art.
10. Je suis fan, de Sheena Patel (Gallimard)
«Je traque sur Internet une femme qui couche avec le même homme que moi.» Ainsi débute Je suis fan, qui raconte la passion de la narratrice pour un homme pour qui elle n’est qu’un personnage secondaire. Sheena Patel pose un regard perçant sur la question ultracontemporaine de la représentation de soi et des assignations identitaires. Sous ses dehors de conte âpre et moderne sur les dommages collatéraux des réseaux sociaux, c’est aussi une réflexion minutieuse sur la classe et la race que déploie dans une langue crue et incisive l’autrice londonienne.
Le Top 10 de Fabrice Delmeire

1. Dernières nouvelles de Rome et de l’existence, de Jean Le Gall
Rome, 1969. Le leader communiste Nicola Palumbo, «l’individu le plus lucide de l’humanité», tourne le dos à la politique pour étudier l’affaissement de «l’homme moyen». Remonté comme un coucou, entouré de voyous «bruyants comme des locomotives», l’iconoclaste fustige la ruine des idéologies dans le ventre mou de l’individualisme et déclare la guerre à l’ennui. Taïaut! Festival du verbe et de l’esprit, une farce grinçante au charme fou qui rend hommage à Moravia et aux films de Dino Risi. Un triomphe de comédie italienne.
2. Le Fou de Bourdieu, de Fabrice Pliskin (Le Cherche Midi)
Mi-prophète mi-diva, un bijoutier découvre la sociologie en prison. Le nez dans Bourdieu et une montagne de coke, il prend sous son aile le jeune Chamsedine pour prôner un «Bataclan contre les dominants». Avec une verve et une impertinence rares, Pliskin dynamite le livre-enquête pour ausculter les métamorphoses d’une société qui se radicalise. Entre Fight Club et le Houellebecq d’Extension du domaine de la lutte, cette épopée hallucinée jette un pétard mammouth dans le slip du journaliste Pascal Praud et ses désirs de «France miniature».
3. La Tentation artificielle, de Clément Camar-Mercier (Actes Sud)
Depuis sa batcave de Rambouillet, un codeur mégalomane engendre l’IA ultime qui éradiquera l’Homo sapiens, espèce en phase finale d’abrutissement. Singeant un monde qui n’en finit plus de bugger, Clément Camar-Mercier enregistre la fusion homme-machine par la dépossession du langage. Corrosif, brillant, parfois insoutenable, ce brûlot à la première personne du singulier mondialisée claque tel le American Psycho du chaos numérique. «Pour la fin du monde, le plus tôt serait le mieux.»
4. L’Avenir, de Stéphane Audeguy (Seuil)
Si l’art venait à disparaître, qu’adviendrait-il de nous? A partir de l’effacement de La Joconde, puis de tout l’art figuratif, Audeguy dépeint l’avènement de l’Apocalypse. En quête d’absolu, furieusement actuel au vu du climat culturel ambiant, cet alliage d’intelligence et d’érotisme rue contre les totems d’un consumérisme vorace et toutes les formes d’intégrisme. Mélancolique, gorgé de visions saisissantes, un roman d’anticipation puissant porté par une réflexion âcre et sensuelle sur notre rapport à l’art, aux images, aux autres.
5. Les Sœurs, de Jonas Hassen Khemiri (Actes Sud)
En sept cahiers échelonnés entre 2000 et 2035, Jonas Hassen Khemiri (Prix Médicis étranger pour La Clause Paternelle) délivre une fresque lyrique sur les affres de l’écriture, les questions identitaires et la dépression. Un tourbillon romanesque généreux, déraisonnable, envoûtant, riche en coups de force littéraires pour mieux baisser la garde sur l’intime. Courez percer le mystère de la malédiction qui frappe les sœurs Mikkola. Et qui sait, faire la paix avec vos propres démons.
6. Bristol, de Jean Echenoz (éd. de Minuit)
Pistant un réalisateur de nanars dans le sud-est africain, le prestidigitateur Echenoz fait disparaître l’intrigue pour laisser le plein champ à ses cadrages à l’ironie jubilatoire. Buste annapurnien, éléphant ivre de rage, Jean-Claude athlétique, n’en jetez plus! Bon alors, on commence quand? De connivence, le lecteur se laisse porté par la musique –glissements, accelerando– toute de fausse nonchalance virtuose. «Les moustiques font qu’on se gratte et le whisky Bain’s Cape Mountain vous fait monter des larmes aux yeux.»
7. Un bout de chemin, d’Ali Smith (Grasset)
Confusion des identités, sublimation de l’ennui, Ali Smith souffle sur les sables du temps pour explorer les méandres du confinement engendré par le Covid. Ecossant nos couches de vulnérabilité face à l’incommunicabilité, l’Anglaise crochète la langue entre surréalisme et postmodernisme pour entraîner le lecteur de l’autre côté du miroir. On pense à l’inconscient qui sourd chez David Lynch: les significations affleurent et la traversée d’un poème devient source d’apprentissage. Un trip aussi introspectif que profond.
8. Ceux que la nuit choisit, de Joris Giovanetti (Denoël)
Sous la beauté des paysages corses, ils sont une poignée à franchir le rideau des dernières exubérances adolescentes. Etudiants en philo, patron de bar, exploitant agricole, militants nationalistes, dealer, berger, tous bientôt privés de leur innocence, il leur faut trouver un sens à leur vie. A travers le dédale des traditions et de l’égoïsme numérique, hantée par Nietzsche, une fresque chorale ample et tragique sur une jeunesse ivre de symboles. La révélation d’un écrivain.
9. L’Entroubli, de Thibault Daelman (Le Tripode)
Entre un père alcoolique et une mère despote, une fratrie de cinq enfants se débat avec l’énergie du désespoir. «On habite sa honte quand le bas de rayon devient trop cher.» Pour combattre l’exclusion de la pauvreté, le narrateur découvre une échappatoire dans l’écriture. Entre ferveur et silences, alternant le lyrique et le sec, Thibault Daelman fait battre le pouls d’une langue sur le fil, au bord des gouffres, où «les journées sont des époques» quand aucun âge ne vous va. Un premier roman «sonore» qu’on n’oublie pas.
10. La Guerre par d’autres moyens, de Karine Tuil (Gallimard)
Profondément nourrie du réel, Karine Tuil incise les liaisons dangereuses derrière les masques du pouvoir (politique, cinéma, littérature), le temps long des mutations sociétales et les contradictions du désordre amoureux. Attentive à la géographie complexe du désir, l’autrice s’immisce au plus près des basculements de la sphère privée pour sonder le gouffre des renoncements intimes. «L’écriture est un espace où on doit pouvoir tout dire, sans politiquement correct.»