Viva la revolución! Le retour de Paco Ignacio Taibo II
Revenir à Naples marque le retour de Paco Ignacio Taibo II, attendu depuis dix ans. Le plus grand auteur mexicain de sa génération y poursuit son grand oeuvre: bâtir un panthéon de la gauche latino et, accessoirement, de grands romans.
Difficile, voire impossible, de résumer le style et l’univers de Paco Ignacio Taibo II (prononcez « Dos »), auteur de dizaines de polars, biographies, nouvelles, essais et romans historiques depuis 45 ans. Essayons quand même avec cet extrait de Revenir à Naples qui, s’il ne dit pas tout de ce grand auteur, en dit déjà beaucoup et devrait en tout cas faire ronronner tous ses aficionados, adeptes de ce mélange unique de tragédie, d’humour, d’érudition et d’exaltation révolutionnaire: « Une dictature, ce n’est pas seulement une structure de pouvoir verticale construite sur la peur, l’armée et la répression, les curés, les apparences, le contrôle de l’information, le mensonge et l’habitude, la fausse promesse d’un progrès dont personne ne sera soi-disant exclu; c’est aussi tout un réseau de passe-droits, de complicités, de copinages, de fraudes et d’accommodements qui huilent la machine de haut en bas de la pyramide. La dictature, c’est de la merde. »
La dictature dont il est cette fois question est celle que Porfirio Díaz faisait régner au Mexique au tournant des XIXe et XXe siècles. L’époque, aussi, où le tout jeune Lucio Doria débarque au Mexique en passant par La Havane, et ce après avoir fui l’Italie en compagnie d’une troupe hétéroclite d’anarchistes menacés de mort et de famine. Il y avait là avec lui un prestidigitateur, une poétesse, un boxeur, une prostituée et un curé pas comme les autres, tous mus par des convictions bien ancrées dont ils ne dévieront jamais -« Les titres de propriété, c’est bon pour se torcher le cul avec« , dit l’un. « Celui qui est témoin d’une injustice sans agir n’est qu’une canaille, un stronzo, un puzzolente« , dit l’autre. Une petite troupe qui va tenter de fonder une communauté agricole alors que la révolution gronde et dont il ne reste rien presque cent ans plus tard, si ce n’est Lucio Doria, vieillard dont la mémoire s’égare, et qui revient à Naples régler ses comptes avec ses fantômes -car Lucio a trahi, et ne s’en est jamais remis. Au point de se lancer à corps perdu dans des révolutions qui n’étaient pas les siennes- ultime acte de foi des vrais révolutionnaires. Dans Revenir à Naples, Lucio Doria va donc raconter « l’histoire et les événements tels que je me les rappelle, tels que je les invente, tels que je me les figure ou tels que je les reconstruis« . Une construction flamboyante et bouleversante, entre fiction et réalité qui le verra traverser toutes les révolutions de son siècle, et surtout tous ses hérauts, de Pancho Villa à Che Guevara, en passant par les sandinistes nicaraguayens et les antifascistes du bataillon Garibaldi dans l’Espagne franquiste. Un siècle de tourments et d’espérance révolutionnaire dont seule la littérature peut encore rendre l’écho, dans une époque « qui a perdu le goût de l’héroïsme« .
Plus Salgari que Lénine
Si toute l’oeuvre de Taibo II n’est pas résumée dans ce trop court Revenir à Naples, toute son essence s’y retrouve. Paco Ignacio Taibo II, né en 1949 à Gijón en Espagne d’un père socialiste et d’une mère anarchiste membre de la Confédération nationale du travail (bon sang ne peut mentir) qui ont dû fuir Franco quand il avait neuf ans, « proclame pourtant souvent l’origine littéraire de sa formation idéologique: son anti-impérialisme devrait plus aux romans d’Emilio Salgari qu’à Lénine, son communisme plus à Robin des Bois qu’à Marx, son antiautoritarisme plus aux Trois Mousquetaires qu’aux penseurs libertaires« , explique ainsi le français Sébastien Rutés, écrivain désormais à succès (son Mictlan aux accents très mexicains et paru à La Noire vient d’obtenir le Prix Mystère de la Critique) et surtout grand spécialiste de l’oeuvre de Taibo qu’il a fouillée de doctorat en essais, et qu’il traduit désormais. C’est lui qui assure la traduction de ce premier roman depuis dix ans et Le Retour des tigres de Malaisie chez Métailié, dans lequel Taibo s’emparait justement des romans d’aventures écrits par Salgari à la fin du XIXe siècle et redonnait vie à Sandokan, son plus célèbre pirate, devenu chez lui la matrice de tous les révolutionnaires et figures libertaires qui suivront et qui hantent ses romans.
Depuis ces Tigres, l’auteur de La Bicyclette de Léonard, de À quatre mains ou de Ombre de l’ombre avait dû délaisser la fiction de par ses activités universitaires, militantes et éditoriales -il est membre du Mouvement de régénération nationale (Morena), qui entend transformer en profondeur l’État mexicain, et est devenu il y a deux ans le directeur du Fondo de Cultura Económica, une des plus importantes maisons d’édition espagnoles. Mais il a quand même réussi à faire atterrir ce Revenir à Naples, « un roman de longue gestation, plus de 20 ans, qui résonne des échos de ceux que Taibo II a publiés tout au long de cette période, poursuit Rutés. Ce sont tous les révolutionnaires du monde, de quelque obédience qu’ils soient, saints laïques d’une religion rouge dont on retrouve ici la rhétorique« . Une rhétorique que l’écrivain mexicain a depuis toujours le bon goût d’emballer dans des romans qui réinventent en permanence les romans populaires -à l’image de cette très belle publication assurée par les éditions Nada, agrémentée de gravures et d’illustrations portant haut le geste révolutionnaire- et qui provoquent à chaque fois de formidables expériences de lecture. Qu’on soit sensible ou pas au romanesque de l’anarchisme.
Revenir à Naples, de Paco Ignacio Taibo II, Nada Éditions, traduit de l’espagnol (Mexique) par Sébastien Rutés, 176 pages. ****(*)
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