Victime de la première hystérie collective de l’année, merci Yann Moix!

Yann Moix © REUTERS/Benoît Tessier
Serge Coosemans
Serge Coosemans Chroniqueur

J’étais tranquille, j’étais peinard, voilà que Yann Moix est entré dans ma sphère et que tout a commencé à aller de travers. Avant de laisser béton, il y a eu trois jours d’hystérie collective, résumés ici. Schnecks de 50 ans et femmes-jambon, c’est le Crash Test S04E20.

Je ne lis pas le magazine Marie Claire, je ne lis pas les livres de Yann Moix, je me fous même totalement de Yann Moix, de ce qu’il pense, de ce qu’il est. Dans mon univers, Yann Moix et Marie Claire sont habituellement « invisibles » et c’est très bien comme ça. Toute cette semaine, justement suite à une interview accordée au magazine Marie Claire et abondamment commentée sur les réseaux sociaux, je me suis pourtant retrouvé le nez collé dans le caleçon de Yann Moix, à apprendre ce qu’il pense des femmes de cinquante ans et des femmes asiatiques de vingt-cinq. Suite à cette sortie, j’ai lu les avis des unes, des uns et des autres. J’ai cliqué sur des tribunes et des éditos qui prenaient position contre le sexisme « bien détendu du gland » de ses propos et s’offusquaient que Yann Moix puisse parler de femmes comme de jambons. J’ai même parlé de Yann Moix au petit-déjeuner, au téléphone, dans des messages privés. Ca a duré trois jours et au bout du compte, rien ne semble avoir changé dans mon univers: je ne lis toujours pas le magazine Marie Claire, ni les livres de Yann Moix. Je me fous toujours autant de ce qu’il pense, de ce qu’il est et de qui lui chipote le zigouigoui. Je continue aussi de penser que les femmes qui s’offusquent que l’on puisse les prendre pour des jambons sont, fondamentalement, des jambons.

À la surface, rien n’a donc changé mais intérieurement, plus profondément, je me sens néanmoins un peu plus sale, un peu plus fatigué de la vie, un peu plus mort donc. J’ai accordé trop de temps de cerveau à ce sujet vampire. Dans la vie, je ne connais personne pour tenir Yann Moix en haute estime, encore moins suivre ses sorties et les conseiller. Sur les réseaux sociaux, non plus. Cette polémique déclenchée par les propos de Yann Moix s’est infiltrée dans mon univers comme l’aurait fait un rat dans ma cuisine, un rat qui aurait bouffé une bonne part des réserves de nourriture. Ou plutôt, Yann Moix s’est introduit dans ma sphère comme une pub le fait de temps à autre sur Facebook malgré l’Adblock. Ou un malware sur mon laptop malgré l’antivirus. Yann Moix, ce n’est pas ma culture, c’est même une pseudo-culture dont je me protège, parce que je la sais rongeuse de cerveaux. Il y a donc eu maousse faille de sécurité.

J’ai été infecté et j’ai causé trois jours de Yann Moix alors que j’avais pourtant un stock de sujets bien plus passionnants à déballer. C’est que ces derniers jours, j’ai joué à Black Mirror. J’ai lu Thomas McGuane, Philip K. Dick, Michel Houellebecq et j’ai fini un Naomi Klein entamé il y a quelques semaines. J’ai vu Machine Gun McCain, un vieux film où John Cassavettes semble avoir volé le rôle à Charles Bronson et Dupont Lajoie, ce film de 1974 mettant en scène des beaufs racistes à la fois fort drôles et totalement effrayants, autant dire une bonne allégorie des réseaux sociaux de 2019. Je suis tombé amoureux d’un disque de la Shankar Family & Friends et j’ai vraiment beaucoup écouté Thee Oh Sees en streaming. J’ai pris une grosse douffe au vin naturel, le genre de cuite où l’on se tue généralement ensuite en tombant dans l’escalier. J’ai écouté Joe Rogan parler avec Jonathan Haidt, un scientifique qui lie l’épidémie de dépressions chez les adolescents à l’usage intensif du smartphone. J’ai un projet de reportage rigolo flirtant avec le surnaturel, j’aimerais lire le bouquin des Beastie Boys mais je le trouve trop cher. Il n’aurait pas non plus été inadéquat de remettre Bird Box, à ce jour le plus gros succès de Netflix, à sa juste place: le sac orange destiné au compost. Mais voilà: pif, paf, pouf, plutôt que de développer tout ça et/ou d’en discuter, j’ai passé des heures à emmagasiner de l’info sur Yann Moix.

Et ça me rend dingue parce que qu’est-ce que je peux bien foutre avec un dossier sur la sexualité de Yann Moix? Qu’est-ce que ça change pour moi que ce type qui a moins d’incidence sur ma vie que les caissières du Exki de la Porte de Namur objectifie les femmes? Voilà que je sais des choses sur lui que je ne devrais pas savoir, que je ne voudrais pas savoir, et que je me promène aussi avec le cul de Colombe Schneck en persistance rétinienne alors que je ne savais même pas qui était Colombe Schneck avant qu’elle ne poste une photo de ses fesses sur Instagram en réponse à Yann Moix (expérience sociale: moi, jamais je ne coucherai avec des grosses en legging qui ont des poils sous les bras. Envoyez vos photos à kevin.dochain@levif.be si vous n’êtes pas d’accord!). J’ai passé trois jours à donner des points (« c’est complètement con ce que raconte cette conne », « c’est pas mal, l’article de Slate », « Tiens, pour une fois je suis d’accord avec Anne Lowenthal… »). J’ai produit plus de vent qu’une grosse turbine, j’ai développé un avis sur un sujet dont je suis en principe fier de tout ignorer. J’ai eu la sale impression d’être à nouveau un gamin à moitié crétin assis dans un cirque miteux à regarder des singes arthritiques, des clowns suicidaires et des otaries sous kétamine faire leurs cabrioles dépressives. Je me suis fait avoir comme un bleu par cette hystérie collective, la première de l’année, par les Forces du Néant, Le Monde Noir. Et ce n’est pas la faute de préférences mal programmées sur mes réseaux sociaux ou d’algorithmes sournois. C’est uniquement ma curiosité malsaine qui m’a fait tomber dans ce trou de lapin. Du fait que j’espionne quelques féministes que j’estime quelque peu mongolos, histoire de trouver sur leurs pages des idées de chroniques. Ca a réussi puisque nous voilà à la fin d’une chronique sur Yann Moix. Mais ça m’a surtout donné une idée de bonne résolution 2019: on ne m’y reprendra plus.

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