Trois jours dans la vie d’un couple par Michael Cunningham: « Deux, ce n’est toujours qu’une paire »
Auteur célébré des Heures, Michael Cunningham dessine, dans Un jour d’avril, un nouveau triangle relationnel dont les angles ont pour nom temps, amour et… mort.
Romancier, scénariste (notamment pour la série Masters of Sex), producteur, dramaturge, le New-Yorkais Michael Cunningham, 71 ans, est aussi professeur d’écriture créative à l’université de Yale. Ce qui se sent dans son nouveau roman, Un jour d’avril, qui reprend le thème de la relation triangulaire des Heures –prix Pulitzer en 1999, adapté au cinéma par Stephen Daldry- et son côté triptyque temporel. Un triptyque plus rapproché dans ce cas-ci: les trois parties prennent pour cadre les 5 avril des années 2019 à 2021.
En 2020, le Covid s’installe dans la maison que partageaient un an plutôt Dan, rockeur qui n’a jamais connu le succès, sa femme Isabel, qui travaille dans un magazine de déco, et leurs deux enfants. Vit également là, dans les étages, Robbie, le frère d’Isabel, qui n’en finit pas de s’apprêter à déménager… Malgré les coutures apparentes du « creative writing » (dialogues ping-pong, personnages paumés, rebondissements), Un jour d’avril a le mérite, tout en s’interrogeant sur la notion de famille, de convoquer des personnages pris dans le temps suspendu de la pandémie plutôt que de se contenter d’être un roman sur le Covid.
Vous évoquez Le Moulin sur la Floss de George Eliot, femme écrivain, et Wolf, le personnage virtuel créé par Isabel et Robbie au cœur du livre, se réfère à Virginia Woolf, l’un des vos écrivains favoris, que vous ressuscitiez dans Les Heures. Ce n’est sans doute pas un hasard si l’on trouve dans le roman cette référence à ces deux autrices?
Concernant Virginia Woolf, c’était totalement inconscient, mais c’est l’un des aspects amusants de l’écriture: certains actes sont intentionnels, d’autres ne le sont pas. S’agissant de George Eliot, ce n’est pas tant le fait que c’était une femme, mais plutôt que Le Moulin sur la Floss évoque le lien inébranlable qui unit une sœur et un frère.
Un jour d’avril évoque également Les Chroniques de San Francisco d’Amistead Maupin. Vous avez d’ailleurs participé à leur adaptation télévisuelle pour Netflix en 2019. On trouve dans votre roman une relation triangulaire, tout comme au début de l’œuvre de Maupin…
Amistead Maupin et moi-même sommes des écrivains très différents, mais nous nous revendiquons comme deux romanciers situant nos histoires dans le monde que nous connaissons. Ce n’est pas nécessairement tant trois personnes qu’un mélange de sexualités et de genres. Nous refusons en quelque sorte d’envisager les personnes et les personnages en termes d’homosexuels ou d’hétérosexuels. Le triangle est une constante dans la littérature: deux, ce n’est toujours qu’une paire, mais si on ajoute un troisième personnage, vous introduisez un troisième élément et les permutations deviennent infinies.
Le fait que votre mari soit psychiatre se révèle-t-il un adjuvant au niveau de l’écriture?
Oui, parce que Kenny est un observateur extrêmement attentif de la construction des personnages. Les qualités qui font de lui un excellent psychanalyste en font également un très bon lecteur d’une première ébauche. C’est lui qui dira: « Je ne pense pas que ce personnage ferait cela. » Et il a presque toujours raison, ce qui peut être agaçant bien entendu (rires).
Bien que le livre soit situé en avril, l’ambiance du roman semble plus automnale.
Le ton est en effet à l’automne. Mais le 5 avril à New York, ce n’est pas encore vraiment le printemps. On y éprouve cette sensation particulière de l’espoir d’un sentiment de renouveau qui continue de ne pas se manifester, et qui n’arrivera peut-être pas avant le mois de mai.
Dans quelle mesure le Covid a-t-il eu une importance dans l’écriture de ce roman?
Il a été essentiel. Je n’avais pas particulièrement envie d’écrire un livre dont l’action se déroule pendant la pandémie, mais je ne voyais tout simplement pas comment ne pas écrire un roman dont l’action se déroule pendant. À l’époque, nous ne savions toujours pas s’il y aurait un vaccin. Le monde entier était confiné. Impossible dès lors de situer un roman contemporain dans un endroit qui n’a pas été affecté par le Covid, car chaque lieu, chaque personne l’était. Je n’ai pas écrit un roman sur la pandémie, mais qui décrivait des personnages aux prises avec le Covid.
Voyez-vous un lien entre la pandémie de Covid et l’épidémie de sida, vous qui, à l’époque, avez participé à la fondation d’Act up?
J’ai réalisé l’an dernier que j’avais eu à faire face non pas à une, mais à deux pandémies. Il y a des similitudes certes, mais il existe également de grandes différences. Vous ne contractiez pas le sida en rendant visite à un ami contaminé. Les malades étaient majoritairement répertoriés parmi les homosexuels et les consommateurs de drogues. La population dans son ensemble en a été affectée différemment. Le Covid, de par sa nature et par son universalité, a réellement changé le sentiment de sécurité de chacun vis-à-vis des autres. Malgré toutes les horreurs qu’il a provoquées, le sida n’a pas gâché notre humanité comme le Covid a pu le faire.
Ce roman n’est pas crépusculaire, mais du crépuscule. Un livre entre chien et loup?
Absolument. C’est le ton général du livre. Même lorsque l’action se déroule le matin, il ne fait pas très lumineux, l’ambiance vire souvent au sombre.
Quels sont vos prochains projets? Du roman, des scénarios de séries ou de films?
Je m’intéresse de moins en moins à l’écriture pour la télévision et le cinéma, et de plus en plus à la littérature. Je me suis d’ailleurs attelé à un nouveau projet de roman.
Serait-ce lié à votre âge?
Cela fait certainement partie du processus, sachant mon temps désormais compté. Mais le cinéma et la télévision sont des secteurs éprouvants et, parfois, perturbants. Écrire un roman est certes exigeant, mais c’est différent: vous en êtes propriétaire et n’êtes pas obligé de le vendre à qui que ce soit. Je me sens épuisé par la rudesse de l’industrie audiovisuelle. Pour l’instant, je fais une pause.
Raison pour laquelle vous habitez New York et pas Los Angeles?
C’est l’une des raisons pour lesquelles je me suis réfugié tout en haut de ma tour… new-yorkaise (sourire).
Un jour d’avril ***
de Michael Cunningham
Seuil, traduit de l’anglais (Etats-Unis- par David Fauquemberg, 320 pages.
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