« Tout, tout de suite »: Barbarie, mode d’emploi

L’auteur de l’Appât transforme un fait divers en un conte de faits vertigineux: L’enfer du Gang des Barbares est également le nôtre.

Le chef du Gang des Barbares se prénomme dans la réalité Youssouf, et sa victime Ilan. Dans Tout, tout de suite, ils se nomment Yacef et Elie, mais c’est bien là l’une des rares distances que Morgan Sportès s’est autorisée face à la réalité: en 2006, un jeune vendeur de téléphones était kidnappé par une bande des cités, aux abords de Paris. Il restera enfermé et torturé pendant 24 jours, avant d’être abandonné, brûlé vif, dans un terrain vague. Ilan succombera sur le chemin de l’hôpital, Youssouf et ses complices serontarrêtés quelques jours plus tard, puis condamnés, achevant croyait-on la trajectoire de ce « simple » fait divers. Simple? Pendant 2 ans, Sportès a épluché tous les détails de l’affaire, tous les procès verbaux. A rencontré des amis des victimes, des amis de la bande, parfois la bande elle-même. Il a humé les quartiers et les lieux du drame. Une démarche digne de James Ellroy, pour atteindre un sommet où Truman Capote devait se sentir bien seul depuis De Sang Froid: ce « conte de faits », comme il le nomme lui-même, transforme soudain cette sordide affaire en un miroir, affolant, jeté auvisage de notre magnifique société du spectacle.

Hyperréalisme et société sans idées

Sans aucun effet de style, sans le moindre jugement, Morgan Sportès aligne les faits, les déclarations, le contexte. Et le vide, l’effroyable vide qui entoure… du vide. Tout, tout de suite est le récit de «  l’indigence intellectuelle et morale au milieu de l’indigence architecturale et culturelle ». Elie a été kidnappé pour de l’argent,  » comme à la roulette russe: Yacef choisit son Juif ». Elie a été kidnappé puis torturé parce que «  tous les Juifs ont de l’argent. Et se serrent les coudes ». La demande de rançon passera ainsi de 450 000 euros à… 5000 euros. Quant aux rêves des kidnappeurs après ce coup monté comme un très mauvais épisode des Experts: rembourser ses amendes de la RATP pour l’un, un scooter pour un autre, des fringues pour un troisième… Au total, plus de 70 personnes seront interpellées dans cette affaire. Certaines sont directement impliquées, d’autres savaient. Toutes se sont tues. Sur plus de 70 êtres humains, pas un n’a vraiment  » réalisé » ce qui était en train de se passer au fond d’une cave humide d’une barre de Bagneux. L’infantilisme jusqu’à l’absurde et la totale inconscience. Alimenté par un environnement que Sportès pointe peu à peu du doigt, sans un mot de trop, en alignant sans en avoir l’air les notes de bas de page et les noms de marque qui forment leur -uniquequotidien:  » Ce centre commercial a été construit en 1974, fait 90 000m2 et 550 millions de CA, offre 5200 places de parking, 220 boutiques… «  Morgan Sportès a lu le rapport d’autopsie d’Ilan/Elie, a regardé ses photos.  » Une plaie vivante« , portant désormais le visage d’un adulte.  » Mais pas de n’importe quel adulte: d’un être qui a pu faire en quelques jours le tour de ce que d’autres mettent une vie à cerner: l’horreur humaine. Ses yeux clos nous regardent. »

Olivier Van Vaerenbergh

Tout, tout de suite de Morgan Sportès, éd. Fayard, 379 pages.

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