Ted, drôle de coco: l’autisme tragicomique

Les personnages qui ne sont pas familiers à Ted ne sont pas complètement illustrés. Ce qui renforce la compréhension de l'histoire. © Atrabile

La bande dessinée d’Émilie Gleason nous plonge dans la vie cadencée d’un curieux personnage atteint du syndrome d’Asperger. Mélange habile d’humour et de prises de conscience, l’ouvrage explore les réalités de l’autisme d’une façon singulière.

Comment aborder l’autisme dans une bande dessinée? Par l’illustration, le récit, les dialogues? Les obstacles sont nombreux: ne pas tomber dans la caricature voire l’indécence, dans le dramatique ou dans le sensationnel. Lorsque l’on demande à Émilie Gleason, auteure de Ted, drôle de coco, un ouvrage l’ayant inspirée pour sa BD, elle cite La différence invisible. Effectivement, en 2016, cette bande dessinée parlait déjà de l’autisme par le postulat du témoignage personnel. Bingo. « J’en ai appris davantage grâce à ce livre que je trouve très didactique« , se souvient la dessinatrice.

Des fondements qui serviront à Émilie qui souhaitait toutefois une autre interprétation pour Ted: « Je ne voulais aborder l’autisme sous l’angle de la tristesse. Je ne voulais pas donner cette image-là. Je souhaitais raconter le quotidien de notre famille avec un autre point de vue, c’est-à-dire l’humour. Néanmoins, il y a aussi du drame, car il me semble important de mentionner aux lecteurs que l’autisme est quelque chose à prendre très au sérieux et de les ramener à la réalité de ce qui s’est passé pour nous. À l’origine, j’ai réalisé cette bande dessinée pour mes parents, avec l’objectif qu’ils se marrent. »

Dans cet ouvrage, on insiste sur le côté
Dans cet ouvrage, on insiste sur le côté « répétitif », très présent dans la vie de notre héros. © Atrabile

Dans les faits, la feuille de route semble respectée, voire exploitée. Émilie Gleason dépeint l’histoire de Ted, librement inspirée de son frère autiste Asperger. Dans le bouquin, le héros doit faire face aux aléas de la vie quotidienne: les travaux du métro, son retour à la maison, ses angoisses… Là où les séquences auraient pu être trop dramatiques pour lui, chaque rebondissement s’avère, a contrario, rempli de second degré grâce à une illustration abstraite mais précise dans son raisonnement. Les rires servent les moments délicats et vice-versa. On peut aussi souligner l’espiègle double sens du titre: « J’ai clairement appelé le personnage comme ça pour faire directement référence au terme « Troubles envahissants du développement ». Je trouvais que ça tombait bien de choisir un acronyme. De plus, Ted, c’est simple et cela parle à n’importe qui« , explique l’auteure.

La conception de cette BD remonte à un travail de fin d’études que la jeune illustratrice devait réaliser. « Cela ne marchait pas du tout, se souvient-elle. J’étais partie sur autre chose et puis, un mois avant de rendre le projet, je me suis dit que j’allais parler de mon frère de manière drôle. Même si dans mon travail artistique, il y a toujours de l’humour, j’avais envie d’exprimer une colère par rapport à ce qui nous arrivait. C’était donc un challenge de témoigner sur mon vécu, de faire une biographie avec un peu de fiction. J’ai donc appréhendé cela comme un jeu. C’est un sujet sur lequel j’avais des choses à dire. » Tellement de choses à raconter que l’oeuvre dépassera le cadre scolaire pour devenir un véritable projet à part entière. Ce qui n’empêchera pas les doutes et les interrogations de la jeune femme venant perturber le processus de la bande dessinée. « J’ai refait trois fois le chapitre sur la famille. Le contenu était la plus grosse crainte, surtout sur les détails médicaux. En tant que soeur d’un autiste Asperger, je ne suis pas une spécialiste du domaine. Logiquement, j’avais donc peur de froisser ou dire quelque chose de faux notamment sur la prise des médicaments ou autres », estime-t-elle avant de se raviser. Pour cause, Émilie Gleason considère plutôt son livre comme « un témoignage et non un livre scientifique ».

À un autre niveau, se mettre dans la peau d’un autiste n’a pas été chose aisée pour l’auteure. Elle réussit cependant assez bien l’exercice et évite les dangers de la singerie. En signe de Graal de la reconnaissance, l’intéressée évoque les retours qu’elle a pu avoir auprès des personnes atteintes du syndrome qui se sont « reconnues » dans l’ouvrage. Des retours positifs qui se retrouvent également chez les critiques littéraires prenant par surprise Émilie: « J’espérais qu’elle fasse du bruit mais pas autant. Je suis vraiment heureuse car il y a eu beaucoup de doutes lors de son élaboration. Il est incroyable de faire passer des émotions par le dessin. On va dire que c’est un peu l’oeuvre de ma vie et que je suis en crise post-partum (rires). Je serais incapable de raconter une histoire aussi forte par la suite.« 

Derrière cet élan positif, un seul bémol. Le frère de l’auteure, source principale d’inspiration pour Ted, drôle de coco, n’a pas lu l’oeuvre qui lui est consacrée. « Au début, il était contre l’idée de ce livre mais je me suis dit que je n’allais pas m’arrêter à cela parce qu’il n’avait pas conscience de ce que cela représentait. Maintenant la BD sortie, il n’ira pas la lire de lui-même. Il ne se sent pas intéressé », regrette Émilie Gleason.

Emilie Gleason, jeune illustratrice, rythme les aventures de Ted.
Emilie Gleason, jeune illustratrice, rythme les aventures de Ted. © Atrabile

Dans les dernières pages de l’ouvrage, cette dernière publie un texte lui faisant directement écho, mais pas seulement. Elle fait aussi référence à l’ignorance de notre société à propos de l’autisme: « J’explique juste que quand tu ne sais pas en quoi consiste le syndrome d’Asperger, tu perçois ces personnes comme un peu bizarres. Il faudrait trouver un moyen d’expliquer l’autisme au public. De mon côté, j’ai voulu essayer par la BD. Pourquoi pas? »

Une tentative à saluer donc, aussi bien pour les arguments énoncés ci-dessus que pour la démarche effectuée par l’auteure, c’est-à-dire s’approprier une situation personnelle et la détourner sans lui faire perdre son sens dans le but de la restituer aux yeux de tous. Avec Ted, drôle de coco, Émilie Gleason apporte une vision inédite des choses. Une autre manière de raconter l’autisme.

Ted, drôle de coco de Emilie Gleason, Editions Atrabile, 128 pages.

Mostefa Mostefaoui

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