Sébastien Raizer, éditions Gallimard/Série Noire
Terres noires
272 pages
Sébastien Raizer clôt avec fracas un ensemble de six polars qui fouillent loin et profond dans “le cœur noir de l’Occident”.
On ne l’avait pas vu venir: la guerre en Ukraine a fait de Thionville et de la Lorraine la nouvelle plaque tournante de tous les trafics internationaux, à commencer par l’iode, dont la demande a explosé en même temps que les menaces sur la centrale de Cattenom. Deux hommes et deux mondes s’affrontent désormais pour en tirer le meilleur: Thomas Allen, directeur d’une banque d’affaires luxembourgeoise liée à la mafia serbe, elle-même infiltrée par les renseignements américains; et Santo Serra, créateur du réseau Mezzo Grigio, qui représente l’avenir de la ’Ndrangheta, la mafia calabraise. Or Allen a la mauvaise idée de ne pas s’en prendre directement à son concurrent, mais bien à ses proches, dont Dimitri Gallois, vieille connaissance criminelle des lecteurs de Raizer, qui comptait prendre sa retraite zen en Asie avec sa précieuse Luna. C’est raté: Allen va s’en prendre à Luna, et le fond de l’air vire au rouge sang. “Dimitri Gallois n’existait plus. Il était un rubis de sang dans un monde de glace. Il était le feu qui avait toujours brûlé son être. Il était une fureur animale, à la respiration brutale.” Et ça va faire très mal, dans une flambée baroque de violence, de folie, de fureur… et de leçons d’économie politique, dont les États-Unis et leur libéralisme seront les victimes principales derrière l’amoncellement de cadavres: “Il n’y a pas de pays aussi psychotique dans l’Histoire de l’humanité.”
Crise, crime et guerre
“Terres noires est le dernier roman européen -pour moi”, explique l’auteur aux racines rock’n’roll désormais installé au Japon, lorsqu’il fournit à quelques “happy few” chançards “un court texte qui synthétise les thèmes de L’Alignement des équinoxes et du Tryptique de l’Acier”, soit ses six romans, avec ce brûlant Terres noires, parus à la Série Noire. Un court récit post-apocalyptique dans lequel se croise les protagonistes de l’ensemble, et qui donne effectivement quelques clés de compréhension de ce grand œuvre apparemment achevé (mais dont chaque volume se suffit aussi à lui-même).
Sébastien Raizer en donne d’autres, de clés, au terme de Terres noires et de ce deuxième triptyque: “Les Nuits rouges traite de crise, Mécanique mort de crime, Terres noires de guerre. Ces thèmes sont indissociables et forment le cœur noir de l’Occident. Au début de la révolution industrielle, penseurs et philosophes européens tenaient la crise, le crime et la guerre pour des éléments structurels du capitalisme, qu’il convenait de juguler: ils sont devenus les piliers puis la dynamique désespérée du libéralisme américain.” Une thèse qui va donc se jouer entre Thionville, Luxembourg et Differdange, tout en citant du Dostoïevski entre deux coups de hache dans un crâne ou une séance de torture à l’équarrisseur! Sans doute parce que “le verbe, c’est le sang de la culture”.
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