Rentrée littéraire de janvier: nos 20 coups de coeur de la cuvée hivernale

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Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Avec un nombre de parutions plus élevé qu’en septembre, la rentrée littéraire de janvier est tout sauf secondaire. Les grands noms s’y bousculent, tout comme les bonnes découvertes. Tour de la librairie en vingt ouvrages.

1. La Décision

Par Karine Tuil, Gallimard, 304 p. Paru le 6 janvier.

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Après le succès, il y a deux ans, des Choses humaines, Karine Tuil est attendue au tournant. Pour construire son personnage de juge d’instruction antiterroriste, l’autrice s’est immergée dans le quotidien de la Justice pour évoquer l’actualité brûlante des attentats. Extrêmement documenté, construit d’extraits d’interrogatoires et de rapports d’enquête, le livre entend soupeser le poids de la décision judiciaire, de son implication sociétale et personnelle.

2. Un barrage contre l’Atlantique

Par Frédéric Beigbeder, Grasset, 272 p. Paru le 5 janvier.

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Retranché dans un cabanon du Cap-Ferret, Frédéric Beigbeder ressasse sa vie et son destin d’écrivain face à l’océan. Paratitrant Duras et son Barrage contre le Pacifique pour ce qu’il présente comme la suite d’Un roman français, dans lequel l’enfant terrible de la pub revenait sur son histoire familiale, il délaisse quelque peu la satire mordante, isole chacune de ses phrases pour mieux les faire peser et médite celles de son ami Benoît Bartherotte qui, sur cette fragile langue de sable, tente de défier les vagues. « Ce ne sont pas des souvenirs mais de la sédimentation. »

3. Connemara

Par Nicolas Mathieu, Actes Sud, 400 p. Parution le 2 février.

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Les livres de cette rentrée sont nombreux à prendre le pouls d’une France qui désillusionne. Prix Goncourt 2018 pour Leurs enfants après eux, Nicolas Mathieu le fait à travers le prisme de deux quadras, Hélène et Christophe, ayant fait les frais de débuts professionnels et intimes qu’ils avaient rêvés parfaits mais qui les ont amochés. Le retour en province, qui devait s’avérer libérateur, les laisse finalement à un carrefour tout aussi embrumé, à moins qu’une rencontre ne vienne les sortir de l’impasse.

4. Johanne

Par Marc Graciano, Le Tripode, 304 p. Paru le 6 janvier.

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On entre dans chaque roman de Marc Graciano comme sous l’effet d’un sort enveloppant, immergé dans une langue en crue et un lexique serti de mots anciens ou oubliés. En treize tableaux (de l’enfance à Chinon), l’auteur rend ici tangible comme jamais le destin épique de Jeanne d’Arc et de ceux qui, (é)mus par cette jeune paysanne, suivirent son sillon opiniâtre. Un de ces livres qui vous tatoue, capable de faire jaillir autant l’incandescence de la beauté que la violence.

5. Fata Morgana

Par Chika Unigwe, Globe, 304 p. Paru le 12 janvier.

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Dans le quartier rouge d’Anvers, Ama, Efe, Joyce et Sisi sont arrivées du Nigeria au prix fort, bercées par les promesses faussées de Dele, un souteneur avide. A chaque passe, leur corps fait carapace. Mais le jour où l’une d’entre elles disparaît brutalement, il leur tardera d’enfin se raconter, entre violence et instinct de survie. Dans ce deuxième roman, Chika Unigwe donne à lire, avec brio, les travers du rêve européen vus par des héroïnes au piquant non éradiqué par leur drame.

6. Celui qui veille

Par Louise Erdrich, Albin Michel, 542 p. Paru le 5 janvier.

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Dans son dix-septième roman (Prix Pulitzer 2021) ample et polyphonique, Louise Erdrich met en lumière un épisode clé de l’histoire indienne. Elle s’inspire ici de la ténacité de son grand-père, prêt à tout pour sauver les siens et leurs terres dans le Dakota du Nord, au cours des années 1950. De la même façon, son protagoniste Thomas Wazhashk, à la fois gardien de nuit d’une usine de femmes et leader de la nation indienne de Turtle Mountain, aura fort à faire face à la menace d’assimilation du programme gouvernemental.

7. Dejima

Par Stéphane Audeguy, Seuil, 288 p. Paru le 7 janvier.

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Lors d’un séjour à Tokyo en 1946, Mabel, 64 ans, repense au Kyoto de sa jeunesse, découvert lors de son voyage de noces avec Henry, haut fonctionnaire civil bientôt chargé d’évaluer les conditions d’une nouvelle arme atomique. Débute une traversée du miroir où Mabel découvre de nouvelles formes d’existence… Dans un Japon humilié par la guerre, un roman ample et puissant sur les métamorphoses d’une femme et d’un pays. En filigrane, une réflexion subtile sur l’art et son spectateur. Superbe.

8. Le Zoo des absents

Par Joël Baqué, P.O.L., 192 p. Paru le 6 janvier.

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A Béziers, René Cormet, ancien comptable des Salaisons occitanes, se voit convié à une conférence antispéciste. Chamboulé dans ses habitudes, le paisible retraité se découvre un amour filial pour une ancienne skieuse acrobatique et de nouveaux horizons. René aurait-il rendez-vous avec son destin? L’humour désabusé de Baqué à son meilleur (La Fonte des glaces) et quelques coups de pinceau houellebecquien pour parfaire le geste d’ensemble. Une bonne tranche de transhumanisme nappée d’un coulis de fluide glacial.

9. L’Apparence du vivant

Par Charlotte Bourlard, Inculte, 132 p. Paru le 5 janvier.

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A deux pas du canal Albert, une photographe emménage chez un couple de vieillards ayant fait fortune dans les pompes funèbres. Entre la jeune femme et la grand-mère aux os « pointus comme des menaces », ce sera à la vie, à la mort. Charlotte Bourlard se révèle par la grâce macabre d’un précis de taxidermie où, entre deux barquettes de pékèt, son gothique moderne déboîte avec un bruit sec. « La précision est une question de volonté. » Pour lecteurs avertis, une découverte aussi jolie que monstrueuse.

10. Le Syndrome du golem

Par Mikaël Hirsch, Le Dilettante, 224 p. Paru le 5 janvier.

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En 1982, reclus dans un chalet helvétique confidentiel, une vingtaine d’enfants élevés avec l’espéranto pour langue natale sont livrés à eux-mêmes… Puis embarquement pour l’Himalaya en 1936, sur la trace de deux géologues suisses lors de leur rencontre avec le yéti! Travaillant les rapports étroits entre réel et imaginaire, Hirsch déborde le roman d’initiation classique, croise les récits et interroge l’isolement auquel chacun aspire pour se prémunir contre la réalité et ses utopies sociales exsangues.

11. Le Goût des garçons

Par Joy Majdalani, Grasset, 176 p. Paru le 5 janvier.

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Sur une rive de la Méditerranée, dans une classe de 4e au collège Notre-Dame de l’Annonciation, la narratrice, 13 ans, se languit des garçons. « Se savoir vouée à l’ombre, espérer tenir un jour des braises dans le creux de ses mains. » Souvenirs embarrassants, sororité capricieuse, Joy Majdalani embrase une curieuse catéchèse et croque le tourbillon de l’éveil au désir. Leste, cru, précis, le souffle de ce premier roman fulgurant signe une révélation. « J’étais née pour exciter. »

12. Anéantir

Par Michel Houellebecq, Flammarion, 736 p. Paru le 5 janvier.

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Michel Houellebecq ne déroge pas à sa formule gagnante: des personnages désabusés (en particulier Paul, haut fonctionnaire sans convictions et sans idéaux), un contexte politique instable (on est en 2027, Macron termine son second mandat, et les candidats les mieux placés pour lui succéder sont un animateur de télé et un jeune loup du Rassemblement national), un parfum de déréliction morale, un faisceau d’intrigues mêlant drame intime et sabordage collectif (l’ AVC du père de famille d’un côté, une menace terroriste sourde et indéchiffrable de l’autre). Avec, en plus, et c’est nouveau, une note d’espoir. C’est à la fois réac, vieux jeu, misogyne et en même temps terriblement moderne et audacieux. En deux mots: fascinant et clivant.

13. Une lune tatouée sur la main gauche

Par Rodolphe Barry, Finitude, 320 p. Paru le 6 janvier.

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Sam Shepard, en long en large et surtout en travers, des débuts dans le New York arty et underground des années 1960 aux derniers jours en semi-reclus dans sa ferme de Midway, dans le Kentucky. Une balade sauvage et onirique sur les traces d’un homme libre et intègre qui écrivait ses pièces pour exorciser ses démons entre deux tournages purement alimentaires, et pourtant non des moindres (Les Moissons du ciel, L’Etoffe des héros…). Habité par son sujet, Rodolphe Barry trouve la bonne distance, entre faits avérés et reconstitutions haletantes, pour raconter les errances de ce poète en quête d’absolu, admiré autant par Ginsberg, Patti Smith qu’Antonioni. Une pépite de cette rentrée.

14. Regardez-nous danser

Par Leïla Slimani, Gallimard, 368 p. Parution le 3 février.

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Deux ans après l’envoûtant Le Pays des autres, Leïla Slimani pose la deuxième brique de sa saga romanesque largement inspirée de son histoire familiale. On y retrouvera le couple Amine-Mathilde, rescapé de la crise d’autorité du premier et de la soif d’indépendance de la seconde, mais cette fois dans le Maroc de la fin des années 1960. Nouvelle époque, nouveaux soucis. Alors que la famille goûte une prospérité inespérée et la fin du protectorat français, le pays se déchire entre archaïsmes et aspirations à la modernité occidentale. On a hâte de découvrir comment les personnages inoubliables de cette fresque épique et politique, en particulier la petite Aïcha et la tante Selma, se dépatouillent dans ce nouveau cadre de vie…

15. Monument national

Par Julia Deck, Minuit, 208 p. Paru le 6 janvier.

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Le « Monument national » en question, c’est Serge Langlois, vieille gloire du cinéma hexagonal. Un titre ironique, au diapason de la tonalité de ce roman qui dézingue, avec élégance et cruauté, les travers de l’époque. Sous le vernis d’une intrigue policière farfelue convergeant vers la chute de la maison Langlois, l’autrice s’amuse à confondre les personnages gravitant autour du maître des lieux, de l’intendante guindée au coach sportif beur. Chacun se cachant derrière une image façonnée selon ses intérêts, lesquels en disent long sur les aspirations du moment. Une satire sociale grinçante et virtuose qui lorgne plus du côté des frères Coen que du comique de boulevard. Préparez vos mouchoirs.

16. Le Sang des bêtes

Par Thomas Gunzig, Au Diable Vauvert, 234 p. Paru le 6 janvier.

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Après les hommes-loups, la femme-vache! Une femme-vache, oui, que Tom, vendeur bodybuildé dans une boutique de compléments alimentaires, va secourir sur le trottoir d’en face. Et mettre ainsi le souk dans sa vie trop tranquille mais si contemporaine, entre un fils émasculé, un père martyr, une belle-fille vegan et une existence fade. Culte du corps, poids de l’histoire, spleen de l’époque, questions existentielles, le tout généreusement saupoudré d’humour cinglant et de surréalisme bien belge: le dernier Gunzig est une pierre de plus dans son joli jardin, à défaut d’un pas plus loin.

17. Portrait du baron d’Handrax

Par Bernard Quiriny, Rivages, 160 p. Paru le 5 janvier.

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Le Belge Bernard Quiriny a bien connu l’excentrique baron français Archibald d’Handrax, et il n’y a aucune raison de ne pas le croire, puisqu’il l’écrit. Un collectionneur de maisons en ruine, un organisateur de dîners de sosies et un personnage comme on en invente peu en littérature, fou de cimetières, de trains électriques et d’aphorismes, que Rivages Poche édite d’ailleurs au même moment sous le terme Carnets Secrets, préfacé par Quiriny… Un ancien prix Rossel, amateur de récits courts et d’escroqueries littéraires, au sommet de son art fin et vintage.

18. Le Carré des indigents

Par Hugues Pagan, Rivages/Noir, 384 p. Paru le 5 janvier.

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L’un des premiers flics de France (et prof de philo!) à s’être – vraiment – consacré à la littérature noire est de retour aux affaires, et donc son double de papier aussi: l’inspecteur Schneider, « dur forban émacié » qui ne s’est jamais remis de la guerre d’Algérie et de son grand amour perdu, revient, en 1973, dans la ville de sa jeunesse affronter ses démons et l’assassinat d’une adolescente. Un crime banal pour un grand roman noir à la plume crue mais ciselée, rempli d’âmes blessées et d’injustices sociales.

19. Le Grand Monde

Par Pierre Lemaitre, Calmann-Lévy, 592 p. Parution le 25 janvier.

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On ne cache pas son impatience de retrouver l’auteur au lyrisme pétulant d’Au revoir là-haut. S’il en a fini avec les deux guerres mondiales, objet de sa trilogie des Enfants du désastre, il ne quitte pas l’histoire contemporaine ni le XXe siècle. Le Grand Monde, qui ouvre un nouveau cycle, se déroulera au début des Trente Glorieuses et gravitera autour de la famille Pelletier. « Trois histoires d’amour, un lanceur d’alerte, une adolescente égarée, deux processions, Bouddha et Confucius, un journaliste ambitieux […]. Et quelques meurtres », annonce l’éditeur. Pas de doute, Pierre Lemaitre s’en est donné à coeur joie pour ce qui s’annonce comme une peinture picaresque de cette période de grand chambardement.

20. Première personne du singulier / Abandonner un chat

Par Haruki Murakami, Belfond. Parution le 20 janvier.

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L’auteur de 1Q84 se livre à la première personne (ou pas) dans ces deux ouvrages contigus: un recueil de huit nouvelles troublantes et bercées de mélancolie, où l’on croise Charlie Parker au détour d’un rêve ou une énigmatique autrice de tankas, et un livre illustré de souvenirs de son père à qui le liait une relation complexe, qu’il évoque au départ d’épisodes faussement anodins empruntés au quotidien, cette accumulation de « choses minuscules » ayant fait de lui l’homme qu’il est à présent.

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