Rabaté et Morel, ados amoureux
Autour des émois adolescents, François Morel et Pascal Rabaté se retrouvent dans la bande dessinée.C’est aujourd’hui que je vous aime sonne comme une évocation musicale et pleine de poésie de l’âge con.
Quand on demande à François Morel ce qui le pousse à écrire chroniques, spectacles, livres et chansons: « Mon premier objectif est d’éloigner l’ennui« . « Plaisir égoïste« , renchérit son ami le dessinateur Pascal Rabaté. Mais un plaisir tout de même partagé avec cette première expérience en bande dessinée.
« Isabelle Samain, Isabelle Samain, Isabelle Samain…. Son nom c’est déjà une chanson d’amour avec une métrique parfaite… » C’est le début de ce qui aurait pu être le tube d’un éveil amoureux, celui du jeune adolescent qui mordille son crayon en rêvassant sur les cheveux noir de jais de la belle Isabelle. Il la dessine, écrit son nom à l’arrêt de bus quand elle préfère rentrer à l’arrière de la mobylette de Goulard… « le connard!« . Notre apprenti séducteur ne peut que fantasmer et rougir devant les rondeurs de madame Vayssière, la bouchère, ou écouter les copains se vanter de leurs premières expériences sexuelles lors des dernières vacances. À cet âge-là, on se toise dans le miroir et l’on prie le soir dans son lit. « Notre Père qui êtes aux cieux, faites que je baise, que je tire, que je nique, que je culbute… » Vocabulaire coloré.
C’est aussi l’âge con. À rouler des mécaniques, à vouloir se prouver qu’on est « un homme », on gaffe et on se prend une gifle sur un ferry de la Manche au retour des premières vacances passées seul. « Ces années-là, c’était la révolution sexuelle! – Sauf pour nous« , se souviennent complices et rigolards Rabaté et Morel, tous deux d’une génération trop jeune pour profiter directement de la libération de Mai 68. Ils se connaissent bien et cherchaient depuis longtemps à travailler sur un projet commun. En BD naturellement. Mais « s’il n’y a pas de coup de foudre, les choses peuvent traîner« , justifie le duo. Le texte de C’est aujourd’hui que je vous aime paraît d’abord dans la collection Ce que la vie signifie pour moi des éditions du Sonneur, rassemblant des regards libres sur l’époque. Le titre choisi par Morel est emprunté à Pierre Reverdy, poète proche des cubistes et des surréalistes qui avait pour habitude de systématiquement recourir au retour à la ligne, intégrant une scansion, une musicalité caractéristique. « Entendez je ne suis pas fou / Je ris au bas de l’escalier / Devant la porte grande ouverte / Dans le soleil éparpillé / Au mur parmi la vigne verte / Et mes bras sont tendus vers vous / C’est aujourd’hui que je vous aime. » « Ce titre sonne comme une décision, il ne sait pas qu’il est amoureux, mais il veut l’être« , résume le chroniqueur de France Inter qui chaque vendredi matin siffle de semblables mélodies sur l’air du temps.
Ce rythme que l’on retrouve en creux dans le texte de François Morel a frappé, comme la flèche de Cupidon, le coeur du premier lecteur qu’a été Rabaté. « J’ai lu le récit, j’ai démarré tout de suite le dessin. Cette poésie du rien et de l’anecdotique m’intéressait. » Après la plus sérieuse mais réussie Déconfiture, diptyque paru chez Futuropolis sur la débandade de l’armée française en juin 1940, le bédéiste a trouvé dans l’opuscule de quoi jongler visuellement avec sa prose millimétrée et revenir à une ambiance qui lui sied bien, celle de la France de province et de ses petites villes.
Pom Pompidou
Avec François Morel, il y a toujours un léger goût de nostalgie, à l’image des pulls jacquard du Français moyen qu’il a interprété dans les sketchs des Deschiens sur Canal + entre 1993 et 2002. « Pour écrire, j’ai besoin de me déplacer dans le temps et dans l’espace, de me remettre dans les habits du dimanche qui placent au même niveau les histoires rêvées et les histoires réelles. » C’est aujourd’hui que je vous aime puise par petites touches dans les souvenirs du comédien. « S’il y a une part d’autobiographie, ce sont les sensations et les émotions. Je cherche à ce que le lecteur se dise: « C’est exactement moi ». » Il choisit donc ce qu’il connaît le mieux, la France de Pompidou et de Giscard, la France moderne qui a rangé le Général dans son placard. Pour la BD, il a laissé Rabaté se jeter avec délectation dans cette ambiance graphique. « J’ai adoré chercher le détail qui peut apparaître ringard mais qui était marquant pour l’époque. C’était un véritable jeu que de chercher cette typo, ces coupes de cheveux… Il fallait retrouver dans l’objet un voyage dans le temps. » Les rappels vont ainsi du col roulé au digestif Dubo, Dubon, Dubonnet. Madeleine de Proust s’il en est, d’un temps où BB allumait de sa nudité Piccoli et les spectateurs du Mépris. « Et mes chevilles, tu les aimes mes chevilles? »
Mais il y avait aussi davantage que du décor. Rabaté signe ainsi un album à hauteur d’ado, mettant à distance le regard terre à terre et largué des adultes. « À quatorze ans, le monde n’a d’horizon que le fond de la classe. » Toute la délicatesse fut pour le dessinateur d’ajouter ses propres notes à la mélodie, à l’image de ces alter ego monochromes du protagoniste, formant un vaste arc-en-ciel émotionnel de notre héros sensible, écrivant le prénom de celle qu’il aime avec les vermicelles de son bouillon Maggi. Une adolescence faite de moments de gêne autant que de moments de gloire, de ces petites victoires qui incitent à ne jamais désespérer. « Le plus paralysant quand on fait une adaptation, c’est de se dire qu’on risque en images d’amoindrir les mots. » Écueil contre lequel il ne s’est pas échoué. Sifflant un air connu mais pas des plus désagréables, cette chronique seventies est à l’image de ses auteurs: douce sans être amère.
C’est aujourd’hui que je vous aime, de Pascal Rabaté et François Morel, éditions Les Arènes, 72 pages. ****
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