Pourquoi il faut lire Safari de Sabri Louatah, à la fois thriller et roman existentiel

Sabri Louatah souffle le chaud et le froid dès le début de Safari.

Après Les Sauvages et 404, Sabri Louatah revient avec Safari, à la fois thriller paranoïaque et roman existentiel. Le tout servi par une écriture limpide.

Alors qu’une tempête de neige s’abat sur Chicago, un enfant disparaît quelques instants dans une serre tropicale, avant que son père, paniqué, ne le retrouve sain et sauf. Dès les premières lignes de son sixième roman, Sabri Louatah souffle le chaud et le froid. On est tout à la fois dans un thriller paranoïaque et dans un roman existentiel. Le narrateur, romancier français exilé aux Etats-Unis, a mis sa carrière entre parenthèses pour s’occuper de son fils de 4 ans, qu’il couve comme une mère poule. Un attachement excessif qui vient compenser une névrose, liée à la disparition des années auparavant de son propre père, parti un matin faire son tiercé et jamais rentré. Alors que sa mère a rapidement qualifié le geste d’abandon, le narrateur n’a jamais tiré un trait sur la possible réapparition de son géniteur. Atteint d’une déficience oculaire, il est en proie à une étrange hallucination auditive quand Gabriel, le jeune homme qui lui ramène son fils, s’exprime d’une voix identique à celle de son père disparu. Alors qu’il s’est efforcé durant des années de ne pas penser à l’absent, il plonge dans un délire paranoïaque.

Caméléon littéraire

Raconté à la première personne par un narrateur dont la fiabilité semble s’étioler de page en page, Safari est un roman à suspense extrêmement efficace. Déroulant son récit à un rythme soutenu, Sabri Louatah, en bon caméléon littéraire, s’approprie avec habileté les codes du genre, après avoir exploré brillamment ceux du feuilleton et de la dystopie politique.

Mais l’angoisse qui infuse le livre va bien au-delà de l’action elle-même; elle est au cœur des différentes obsessions du héros. La paternité, d’abord, bénédiction et blessure, source d’amour autant que de peur de mal faire. L’absence ensuite, déclinée à travers deux motifs romanesques fascinants. Le premier, modeste mais qui donne son titre au livre, est celui des tableaux d’Omid Safari, qui peint des lieux tout près d’être désertés. Le deuxième est constitutif de l’identité du narrateur, romancier reconverti dans l’écriture de voyages littéraires –qu’il appelle des safaris–, biographies fictives qui romancent «une vie non pas avant mais à partir de la disparition», «un tombeau textuel pour rendre hommage» commandé par des proches privés de dépouilles et empêchés de faire le deuil de leurs chers disparus.

En passant, Sabri Louatah renoue également avec son exploration toujours limpide de la question des origines ethniques et sociales, notamment dans un chapitre redoutable où il se remémore le racisme larvé d’une mère de famille pour qui sa sœur et lui, amis de ses enfants, représentaient «l’incarnation vivante de ces gens « moins privilégiés » dont elle leur rebattait les oreilles pour qu’ils finissent leurs cahiers de vacances et leurs assiettes». Sabri Louatah a beau changer de genre projet après projet, il n’en garde pas moins sa remarquable capacité à trouver les mots justes.

Safari

de Sabri Louatah, éditions Flammarion Versilio, 236 p.

La cote de Focus: 4,5/5

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