Pereira s’impose
Pierre-Henry Gomont adapte avec brio l’Italien Antonio Tabucchi sur le Portugal de Salazar. Une ode à la résistance magnifiée par le dessin et la narration BD.
« Pereira prétend qu’il était un bon catholique. » Ainsi commence l’album de Pierre-Henry Gomont, exactement comme le roman d’Antonio Tabucchi, écrit il y a 22 ans. Doutor Pereira est un traducteur de littérature française basé à Lisbonne, responsable de la rubrique culture pour le journal Lisboa -« un journal patriote, pas xénophile! » comme va devoir lui rappeler son patron- et un gros monsieur sans âge, sans vie, sans femme depuis la mort de la sienne et jusqu’ici, sans la moindre conscience politique, trop occupé qu’il est à se lamenter sur son sort. Pereira s’empiffre d’omelettes, parle à la photo de sa femme, et ne semble guère concerné par les affres de son époque, pourtant très trouble: dans les années 30, la guerre d’Espagne voisine fait rage, et la Dictature Nationale de Salazar règne sur le Portugal. Pereira pourrait donc prétendre, surtout à lui-même, qu’il n’en a rien à fiche. Et pourtant: la lecture d’un bref article d’un jeune philosophe va bouleverser son existence, et le mener, lentement mais sûrement, du côté des résistants et des subversifs: « Je crois que tu ne t’en rends pas compte, mais tu es en train de revenir doucement à la vie« , lui dit la photo de sa femme. « Pas facile de s’inventer une conscience politique, pas vrai? », lui susurre pour sa part sa mauvaise conscience, toujours perchée sur son épaule.
Respect et invention
Qu’il est bon, parfois, d’être surpris! Surpris, d’abord, par une signature qu’on ne connaissait qu’à peine -Pierre-Henry Gomont, ancien sociologue et Français installé à Bruxelles, avait jusqu’ici publié dans de petites maisons, et on se rappelle, un peu, son Rouge Karma déjà chez Sarbacane. Ensuite par le traitement remarquable de ce roman magnifique, que l’on doit à l’auteur de Nocturne indien, Italien passionné de culture portugaise, qui y décèdera d’ailleurs en 2012. Antonio Tabucchi n’aura pas vu l’adaptation BD de son célèbre roman, mais on peut écrire sans crainte qu’il l’aurait sans doute appréciée: Gomont, extrêmement fidèle au texte, ne se contente en effet pas de le recopier; il le magnifie aussi en multipliant les inventions graphiques et purement bédégéniques: dessins dans les phylactères, récits dans le récit, usage de la couleur, pictogrammes… La manière impressionne, emballe et apporte à ce « roman existentiel résolument optimiste » tous les atouts que la bande dessinée est capable d’offrir, rajoutant atmosphère et empathie à un récit déjà bouleversant. On se ruera donc sur cette bonne surprise, à découvrir d’urgence.
DE PIERRE-HENRY GOMONT, D’APRÈS LE ROMAN D’ANTONIO TABUCCHI, EDITIONS SARBACANE, 160 PAGES. ****(*)
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