Pacôme Thiellement, exégète d’une autre Histoire du XXe siècle

Face à la montée de l’extrême droite, Pacôme Thiellement remonte à 
la racine du problème. © Arnaud Baumann
Michel Verlinden
Michel Verlinden Journaliste

Pacôme Thiellement déroule avec Le Secret de la société quelque chose comme un récit alternatif du vivre ensemble.

Après L’Enquête infinie, un opus qui, dès 2021, égrenait « une autre histoire du XXe siècle« , Pacôme Thiellement déroule avec Le Secret de la société (aux PUF-Presse universitaires de France) quelque chose comme un récit alternatif du vivre ensemble. Pourquoi? Sans doute parce que comme il l’écrit, « 1 % de l’humanité capturant les richesses de 99 %: c’est inexcusable« . Cette situation « à vomir » qui n’a de cesse de se perpétuer met en présence, dans le plus grand immobilisme, ceux dont l’impuissance politique les amène à crier partout au complot versus le camp d’en face qui renonce à remédier aux inégalités sociales. Si Pacôme Thiellement aborde cette question plus de 20 ans après qu’il est entré en écriture, c’est pour une bonne raison. « Il y a un 
sentiment d’urgence. Toute l’Europe est en train de basculer, toute honte bue, dans l’extrême droite. Et je voulais aller à la racine du problème, moins la question de l’engagement politique que le sentiment largement partagé d’impuissance vis-à-vis des événements. Essayer de comprendre ce qu’il était, s’il était légitime, et s’il était possible de le dépasser. Mais je voulais le faire avec mes propres méthodes. Pas en « penseur politique » ou en doctrinaire, pas en militant (ce que je n’ai jamais été), mais en exégète.« 

Fidèle à ce programme, Le Secret de la société convoque un nombre impressionnant de textes, de Balzac à Simone Weil, en passant par Antonin Artaud ou Lewis Carroll. Plus encore, c’est le cinéma de Jacques Rivette que celui qui a suivi une école de cinéma en tant que monteur convoque. « Son œuvre est un guide merveilleux pour réfléchir au politique parce que l’univers dépeint est celui des marges et des innocents sacrifiés pour qu’une société pourrie puisse continuer. Il touche le sentiment d’impuissance et ses leurres (le complot, etc.) tout en réussissant à le dépasser par une pratique: une sorte de « répétition sans représentation » théâtrale (Out 1, La Bande des quatre), ou une concentration sur l’acte créateur, indépendamment de ses conséquences (La Belle Noiseuse). Quand on ne se demande pas « ce qui en résultera », on peut vraiment se sentir libre d’agir -et se concentrer entièrement dans l’acte lui-même, sa justesse, la façon dont il se situe au plus près de la vie même. » Cette idée d’une « action sans regard pour son fruit« , dans un monde qui « roule sous cette loi: donner de l’argent contre du plaisir« , apparaît comme salutaire. Le Secret de la société, mais plus largement toute la pensée de Pacôme Thiellement, invite à ne pas désespérer. L’auteur le rappelle: « Il n’existe pas de « monde idéal » entièrement réalisable, même si on doit tout faire pour l’atteindre -ou plutôt on peut contribuer à « vivre l’utopie » au milieu d’un monde terrible, on peut la favoriser, comme les Bons Hommes (ceux que les chrétiens ont appelé « cathares »). Et, de fait, malgré les persécutions et même l’extermination, les idées des « Sans Roi » et des « Bons Hommes » ont, pour certaines d’entre elles, triomphé: dans les années 1960, avec la culture pop, Lennon, Philip K. Dick… et même avant, dans la poésie de Nerval ou de Jarry. Il ne faut pas se demander ce qui aura lieu demain. Il faut faire ce qu’aujourd’hui requiert.« 

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