Non, Nicolas Sarkozy n’est pas le Comte de Monte-Cristo

Nicolas Sarkozy a emporté des livres dans sa valise pour la prison de la Santé, dont les deux tomes du Comte de Monte-Christo. © Jerome Gilles/NurPhoto

En emportant Monte-Cristo dans sa cellule, Nicolas Sarkozy entendait faire de son incarcération un symbole. Le parallèle est séduisant, mais il trahit le sens de l’œuvre d’Alexandre Dumas.

On l’a vu entrer à la prison de la Santé. Dans ses effets personnels (on le sait à travers la dernière interview donnée au Figaro avant son incarcération), deux volumes du Comte de Monte-Cristo. Belle image, soigneusement mise en récit: l’ancien président face à Edmond Dantès, l’innocent broyé par les puissants. Mais la littérature devrait être d’un autre ordre, trop haut pour se prêter au jeu du miroir flatteur. Elle est un test de vérité. Et, si l’on remet les rôles à leur place, l’analogie s’effondre: Nicolas Sarkozy n’est pas le Comte de Monte-Cristo.

Edmond Dantès, c’est d’abord un marin sans réseau, un homme modeste happé par l’arbitraire, enfermé sans procès au fond d’un cachot. Sa tragédie naît du déséquilibre absolu entre un individu sans défense et un système de notables (Villefort, Danglars, Fernand) qui se liguent contre lui. Nicolas Sarkozy, lui, incarne ce système: un sommet de pouvoir, d’entregent, d’expertise juridique et médiatique. Il n’a pas été saisi par l’ombre. Il a été jugé au terme d’un long chemin procédural, contradictoire, avec recours, défense, avocats, plaidoiries, décisions motivées.

Dans Monte‑Cristo, la prison révèle l’injustice du monde. Ici, elle rappelle la banalité et la rigueur du droit: la règle s’applique, même au sommet. Ce renversement est essentiel. Confondre les deux, c’est dévoyer la morale du roman pour s’offrir un costume héroïque. La comparaison ne tient que si l’on oublie que Dantès est la proie des Villefort, et que Sarkozy n’a jamais été du côté de la proie.

Autre contresens: Monte‑Cristo n’est pas l’épopée d’une victimisation éternelle, mais l’itinéraire d’une métamorphose morale. Dantès se tait, observe, apprend, se dépasse. Il ne transforme pas son malheur en feuilleton; il transmute la douleur en clairvoyance. Ce silence actif, cette dignité sans porte-voix sont à mille lieues d’une stratégie de communication. Edmond Dantès a été jeté dans un cachot et voué à l’oubli. Il n’avait ni micros, ni réseaux, ni les médias de Bolloré pour le défendre. En somme, aucun moyen de modeler le récit à son avantage. Pas d’interviews fleuves dans la grande presse, pas d’amis dans les cercles d’influence pour relayer sa version des faits. C’était un marin anonyme, pas un homme d’appareil. Son silence était subi, non stratégique. Là où Dantès disparaît dans l’ombre, Sarkozy, lui, continue d’occuper la lumière, jusqu’à brouiller la frontière entre le procès judiciaire et la couverture Fmédiatique.

«La victime d’hier n’a rien d’un prince, et le prince d’hier ne devient pas victime par décret. Le reste, c’est de la mise en scène et du storytelling.»

Brandir Dumas en cellule ne fait pas de la littérature une absolution. Cela risque d’en faire un accessoire de scène. Lire, chez Dumas, c’est se convertir, se reconfigurer face à soi‑même. Encore faut‑il accepter que la vérité n’ait pas besoin de caméra.

La littérature n’est pas un refuge pour puissants déchus. Elle est une grille de lecture qui nous protège des métamorphoses commodes. Lire Dumas, ce n’est pas se blanchir, c’est s’exposer à son verdict. Monte‑Cristo nous intime de ne pas inverser les rôles: la victime d’hier n’a rien d’un prince, et le prince d’hier ne devient pas victime par décret. Le reste, c’est de la mise en scène et du storytelling.

Au fond, l’entrée d’un ancien président à la Santé n’a rien d’un roman d’aventures. Ce n’est ni la preuve d’un complot, ni le triomphe d’une vengeance, mais l’épreuve d’égalité que réclame l’Etat de droit. Qu’on lise Dumas en cellule, très bien: c’est un livre de justice. Mais il ne suffit pas d’emporter Monte‑Cristo pour en devenir l’incarnation.

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