Critique | Livres

Nina Allan nous balade brillamment dans Conquest, véritable puzzle littéraire

4,5 / 5
© Marzena Pogorzaly

Nina Allan, Tristram

Conquest

350 pages

4,5 / 5
© National
Anne-Lise Remacle Journaliste

Avec Conquest, Nina Allan nous plonge dans une enquête troublante où se mêlent guerre extraterrestre, théories du complot et musique de Bach.

Frank Landau, programmeur informatique imagine par Nina Allan dans ce Conquest, a entendu les Variations Goldberg pour la première fois à 12 ans, les a réécoutées plus d’une centaine de fois depuis et tient un classement très précis de ses interprétations préférées. Sa fréquentation d’un forum ufologique lui fait penser que la musique du compositeur pourrait être un code extraterrestre, son “mème d’activation”. Depuis qu’il échange avec Edmund de Groote, dit Eddie (professeur de cinéma aussi charismatique que trouble), et d’autres commentateurs réguliers aux théories intriquées, il voit des signes d’une prochaine guerre alien partout. Et il est persuadé que son père, mystérieusement évanoui, a été formé pour être un super-soldat. Lorsque Frank ne donne plus signe de vie après une réunion de la plateforme à Paris, Rachel, sa petite amie depuis l’adolescence, n’a d’autre choix que de faire appel à Robin, détective privée et ex-flic, elle aussi captivée par la musique du compositeur allemand. Sur la toile, de nombreuses rumeurs pullulent au sujet de la volatilisation subite du codeur. Depuis les traces d’un journaliste spécialisé en complotisme, mort de façon suspecte, jusqu’à la chambre d’enfance du disparu ou une petite ville d’Écosse où survient quelque chose de suspect, les deux femmes -sans parler du lecteur, brillamment baladé- auront fort à faire pour démêler le vrai du faux.

Point de bascule

Nina Allan trouve toujours le juste dosage (et un sens profond de l’empathie) pour façonner des personnages qui, sans être à côté de la plaque, réagissent suivant leurs propres codes. C’était déjà le cas dans Le Créateur de poupées (avec son couple de solitaires au hobby désuet), ça transparaît de façon d’autant plus prégnante ici, alors même que l’autrice britannique explore les arcanes des théories du complot. Là où les parents de Rachel regardent avec suspicion sa relation avec un jeune homme fragile sujet à rechutes, la jeune femme est plutôt admirative de l’esprit singulier de son petit ami, un être foncièrement sensible et doux. Tout comme Michael, le frère de Frank, ou de nombreux proches de férus de théories paranoïaques, elle n’a pas vu le point de bascule survenir chez l’être aimé. La musique n’est ici pas juste un décorum, mais le vrai fuel d’une intrigue-gigogne, avec le même ancrage intense et précis que dans l’Orfeo de Richard Powers. En autrice ludique, adepte de récits dans le récit, Allan place au centre de Conquest une des possibles clés de l’énigme sous la forme d’une nouvelle de science-fiction, La Tour, d’un certain John C. Sylvester. Ne reste plus qu’à accepter d’être chamboulé -intellectuellement mais aussi émotionnellement- par cette spécialiste ès puzzles littéraires et semeuse de références très à-propos.

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