Critique | Livres

Mon sous-marin jaune: le monde selon Jón Kalmán Stefánsson

3,5 / 5
© 2020 Einar Falur Ingólfsson

Jón Kalmán Stefánsson, éditions Christian Bourgois

Mon sous-marin jaune

408 pages

3,5 / 5
© National

Jón Kalmán Stefánsson est de retour avec Mon sous-marin jaune, étonnante dérive autobiographique.

Il est impossible de raconter une histoire sans s’égarer, sans emprunter des chemins incertains, sans avancer et reculer, non seulement une fois, mais au moins trois -car nous vivons en même temps à toutes les époques.” La phrase a été subtilisée à un personnage d’Asta, un roman précédent de Jón Kalmán Stefánsson. Elle décrit plutôt bien la forme particulière de Mon sous-marin jaune, son dernier roman en date: il y a bien un point de départ, à savoir cet écrivain-poète “qui ressemble beaucoup à Jón Kalmán Stefánsson, nous dit-on, et qui déambule dans un parc londonien, en 2022, jusqu’à ce qu’il aperçoive Paul McCartney en personne, se prélassant dans l’herbe, pieds nus. Mais comme l’auteur le précise d’entrée en guise de mise en garde: Les pages qui suivent nous emmèneront dans bien des directions. Ainsi, plutôt que de courir déranger son idole et lui offrir L’Épopée de Gilgamesh, soit le plus vieux poème du monde, comme il se l’est promis, il préfère préparer au mieux l’entrevue. Le voilà soudain replongé dans son passé. Pas à une seule et même date, mais plusieurs, pareilles à des dimensions parallèles dans lesquelles il déambulerait simultanément. On rit souvent, mais la date fil rouge est de triste mémoire: c’est celle de la mort de la mère de l’auteur, en 1969, quelques mois à peine avant la séparation des Beatles, d’ailleurs. “Je crains que ta mère ne soit morte”, lui susurre son père dans la Trabant familiale. Une phrase qui réapparaîtra comme une sinistre rengaine, rappel incessant du trauma majeur de sa vie. Le jeune homme tente de s’en remettre à la Bible. Mais ce Dieu qu’on dit miséricordieux s’avère “assoiffé de sang, colérique et injuste”. Difficile à saisir pour celui qui ne cherchait qu’à “accéder au lieu où demeurent les mères défuntes”).

Le roman est vivant!

Soyons franc, parfois assommé par ses allers-retours incessants à travers l’espace, le temps, les rêves et autres souvenirs certes émouvants, Stefánsson manque de nous perdre, et on songe à lui balancer un coup de pied dans l’arrière-train pour le faire atterrir nez à nez avec l’ex-Beatle, qu’il daigne ENFIN lui parler! C’est que dans ce livre ambitieux et complexe, le roman est vivant! Le narrateur l’interpelle comme tout autre personnage, et il s’autorise à peu près tout: faire bambocher Rod Stewart, “l’Éternel” et le père si strict et silencieux du narrateur, ou une harmonie live des Fab Four dans un interminable et nauséeux voyage en bus, lui, bien réel…

Si le livre devait être adapté au cinéma, difficile de ne pas imaginer un Michel Gondry s’en charger, façon Eternal Sunshine of the Spotless Mind… À travers ces rêves et cette réalité ici maintes fois augmentée, on ne serait pas étonné que l’écrivain, poète et narrateur à ses heures parvienne à résoudre l’énigme du sens de la vie.

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