Critique | Livres

Métamorphoses

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Laurent de Sutter
Laurent de Sutter Professeur à la VUB

Le succès de La Vie des plantes (Rivages, 2017) a rendu Emanuele Coccia célèbre. Cela faisait déjà longtemps, pourtant, que les esprits curieux savaient qu’il oeuvrait au défrichage d’un territoire nouveau, où la pensée se transformerait en une manière de mieux rencontrer ce qui se donne à nous. Dès La Vie sensible (Rivages, 2010), celui qui a un temps été élève de Giorgio Agamben à Macerata, dans les Marches italiennes, avait renversé un des présupposés les mieux ancrés de notre tradition: celui de la primauté du sujet sur l’objet -et de la sensibilité sur ce à quoi elle s’applique. En réalité, montrait Coccia, c’est toujours l’inverse qui est vrai: ce sont les objets qui sont sensibles -et c’est en nous prêtant leurs qualités sensibles que notre sensibilité à nous, qui les regardons, les touchons ou les pensons, s’équipe. Plus tard, avec Du bien dans les choses, Coccia approfondit ce geste sous la forme d’une question provocatrice: et si les choses de la publicité, bien loin d’être le lieu de notre aliénation, étaient ce qui nous enseignait les vérités morales? À l’époque, peu de gens en avaient relevé l’importance. C’est toutefois toujours elle que Coccia pose dans Métamorphoses, comme il la posait aussi dans La Vie des plantes: et si, bien loin d’incarner la mesure de la vie, nous n’étions que le résultat d’un processus, que seuls les plantes, les microbes, les larves de toutes sortes, nous permettraient de comprendre? Si c’était le cas, alors il faudrait en déduire que la vie n’est pas une propriété des êtres qui se disent vivants, mais une sorte de force qui les traverserait tous -la force de leur transformation permanente en autre chose qu’eux. Il s’agirait d’une leçon abyssale, car nous serions forcés d’admettre que, à l’intérieur de l’immense métamorphose de tout, nous ne formons guère qu’une étape dans un mécanisme qui nous unit avec tout ce que nous prétendons rejeter. À commencer par un virus connu sous l’acronyme peu sympathique de Covid-19. Essentiel.

Métamorphoses

D’Emanuele Coccia, éditions Rivages, 192 pages.

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