Critique | Livres

« Mes vies parallèles » ou l’itinéraire d’un enfant raté

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Julien Leschiera, Le Dilettante

Mes vies parallèles

511 pages

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© National
Fabrice Delmeire Journaliste

Dans un premier roman délicieusement caustique, Julien Leschiera dépeint les obsessions d’un reclus social en quête d’oisiveté absolue.

Suivant les tribulations molles d’un anti- héros veule et pantouflard, Mes vies parallèles déploie une farce grinçante exhortant à se désintoxiquer de la “religion du travail”, mais, surtout, à s’octroyer la liberté d’user du temps à sa guise. Ainsi, toute sa vie, Charles Dubois s’échinera à fuir la compagnie de ses semblables. Enfant éteint égaré au milieu de bruyants congénères, l’écolier traverse d’abord sans moufter une scolarité émaillée d’humiliations “comme une valise sur un tapis roulant”. Vacances au ski, judo, football lui font l’effet d’une punition bien trop sévère. Déjà, il forge l’envie irrépressible qu’on l’oubliât pour s’oublier à son tour. Ainsi le paresseux obsessionnel ne tolère-t-il que la compagnie de ses doubles, alter ego qu’il fait surgir pour peupler des discussions imaginaires: “(…) n’être confronté à rien, rester à l’abri de tout, peut-être était-ce la voie la plus sûre vers le bonheur”.

Ne pas descendre du bus

Conscient de la bêtise désespérée de son geste, l’aquoiboniste cherche à fausser compagnie aux soubresauts de sa propre existence. Durant la maladie de sa mère, Dubois se réfugie en médiathèque pour disséquer L’Équipe. Puis, fuyant les études supérieures, le jeune homme s’avachit devant la télévision. Dans ces moments de délabrement obstiné, on songe à Jean-Claude Romand bernant ses proches durant dix-huit ans en s’inventant une vie de médecin alors qu’il passe ses journées sur des parkings. Aussi les grandes passions de Charles se bornent-elles à s’abîmer dans le vortex des multiplex sportifs ou des séries AB Productions. Du reste, les mystères de l’amour n’intéressent guère ce timide maladif chérissant son inertie sentimentale. Pour ne pas ébranler son bastion de néant émotionnel, seuls la fuite en avant et le goût du moindre effort requièrent son excellence: “J’étais l’enfant prodige de l’oisiveté, poursuivant mon chemin glorieux de fœtus avachi”. Désastreuses tentatives de réinsertion dans les méandres du salariat et de la colocation, ersatz de couple rongé par l’ennui, Julien Leschiera s’aventure dans les coins les plus ombreux de la frustration. Donnant du goût à ses “portions de bœuf français et ses légumes identitaires”, Mes vies parallèles étrille nombre de ses contemporains: racistes, veaux d’or médiatiques, têtes de gondoles et autres “vrais patriotes” en prennent pour leur grade. À peine pourra-t-on pinailler sur son abondante truculence -un comble pour cet hymne à la flemmardise!-, ce premier roman mal embouché fait montre d’un humour noir ciselé. Cinq cents pages durant, on découvre dans Mes vies parallèles un auteur à suivre, dont l’incarnation d’un Bartleby 2.0. secoue le remugle du prêt-à-penser. “Dans mes lectures et mes pensées, je trimballais un cynisme imbécile et je fuyais l’idiotie du bonheur.

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