Critique | Livres

Mathieu Lindon raconte son père et les éditions de Minuit

3,1 / 5
© BAMBERGER

Mathieu Lindon, éditions P.O.L

Une archive

235 pages

3,1 / 5

Au tour de Mathieu Lindon de livrer ses souvenirs des éditions de Minuit. Dans ce livre intime, c’est surtout à son père Jérôme qu’il rend hommage.

Face au style très personnel de Mathieu Lindon, on se dit souvent que c’est comme s’il avait attendu le moment ultime pour finalement tout jeter sur le papier, d’une seule traite, alors que toutes ses pensées se bousculaient dans sa tête sur le point d’exploser… Il est vrai qu’après Anne Simonin (Les Éditions de Minuit 1942-1955 – Le devoir d’insoumission), puis le Jérôme Lindon de Jean Echenoz (2001), on comptait sur lui pour enfin livrer ses souvenirs de son père et des légendaires éditions de Minuit que ce dernier dirigea de main de maître de 1948 à sa mort en 2001. Avant les Echenoz, NDiaye ou Toussaint (le “nouveau souffle”), la maison a notamment accueilli Samuel Beckett, Marguerite Duras, Alain Robe-Grillet… Excusez du peu.

Mathieu Lindon s’empresse ici de conter le passé prestigieux de Minuit, de son enfance à la mort de ce père que toute sa vie il appellera simplement Jérôme. Il s’épanche sur à peu près tout: le dévouement de Jérôme à Samuel Beckett, “le génie”, ses multiples combats (contre la guerre en Algérie, pour la Palestine, pour le prix unique du livre), la promiscuité entre les Lindon et “les éditions”, qui squattent bien souvent l’appartement familial…

Portrait sincère

Une archive ressemble par endroits à un enchaînement d’anecdotes, empilées à coups de phrases parfois un tantinet tarabiscotées, mais Mathieu Lindon y fait montre de son habituelle et touchante sincérité. Comme dans le retour sur sa parenthèse romaine en compagnie du regretté Hervé Guibert (Hervelino, 2021), de sa capacité à émouvoir. Parmi les passages les plus poignants figurent ceux où il évoque les nombreuses lettres que Jérôme enverra à son petit-fils (qui à l’époque n’était pas encore en âge de lire) -en raison d’une brouille aux motifs obscurs avec son autre fils, André, il ne rencontrera jamais ses petits- enfants.

Outre son amour pour son éditeur de père (qu’il n’épargne pas pour autant), et entre deux extraits d’un “texte abandonné, à peut-être appeler seulement texte en cours” surgi sans crier gare, Mathieu Lindon s’attarde bien sûr sur la relation éditeur-auteur, et sur celle que lui-même entretenait avec son éditeur regretté, Paul Otchakovsky-Laurens, fondateur des éditions P.O.L, disparu il y a cinq ans -pour son tout premier roman publié, lui, aux éditions de Minuit, Nos plaisirs, Mathieu usera d’un pseudonyme “pour la paix des familles.

Réputées pour leur indépendance et leurs choix forts, voilà les éditions de Minuit submergées par le “réchauffement capitalistique”, et rachetées par l’ogre Gallimard. Il en faudra sûrement plus pour bousculer la singularité de cette maison aux deux prix Nobel de littérature et aux trois prix Goncourt. Leur tout nouveau directeur, Thomas Simonnet, multiplie déjà les signatures prometteuses (Claire Baglin, Pauline Peyrade). “Les archives, parfois, sont du côté du futur plus que du passé.”

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