Critique | Livres

Liège, oui

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Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

ROMAN | Après un joli essai sur le découragement, la Belge Joanne Anton récidive avec le petit roman d’une reconquête de soi. De Liège à Paris, en mode allers-retours.

Liège, oui, de Joanne Anton, éditions Allia, 64 pages. ***

Il y a deux ans quasi jour pour jour, Joanne Anton commettait un premier livre sur le découragement. Une entrée en littérature pas mal tordue qui tournait autour de sa propre impossibilité, et suintait le défaitisme: « Est-ce possible d’écrire sur le découragement tandis que l’on se décourage du moindre mot que l’on écrit? » Ironiquement hantés par l’angoisse de l’immobilité et le mal de la page blanche, ces premiers pas littéraires font aujourd’hui place à un deuxième livre au titre plus entreprenant -comme un mantra volontariste: Liège, oui.

« Liège » comme la ville, celle qui a vu naître Joanne Anton, celle qui l’a vue partir, aussi, après le Conservatoire, pour d’autres horizons. Curieusement ou non, c’est aussi le cas de la narratrice du livre, héroïne sans nom née à Liège de parents nés à Liège, qui a décidé un beau jour de troquer la place Saint-Lambert pour le métro parisien. Histoire de suivre son amour de jeunesse et mettre à distance un certain nombre de souvenirs.

Mère patrie

Fuir une ville pour aller de l’avant. Joanne Anton balaie en quelques lignes les circonstances d’un départ choisi pour s’attarder sur le second chapitre du voyage, celui de la difficile réapparition à la ville natale devenue étrangère: comment l’aborder après de longs mois d’absence heureuse? Comment parvenir à être à Liège, à nouveau?

Logiquement, Liège, oui commence dans une gare. Celle d’où la narratrice était partie. Celle où elle tente de revenir, le temps de quelques jours -jamais longtemps. A peine recrachée sur un des quais des Guillemins, l’héroïne affronte une cité radicalement modernisée, pourtant inchangée –« Liège est un fémur sur lequel on tente de greffer un futur », ses coins gris, peu affables. Presqu’immédiatement, elle se surprend à décompter les heures qui la séparent de son billet de retour –« Liège, jamais plus. Liège, non. »

Déjà, en bas des marches, sa mère fait les 100 pas, monobloc de déceptions courues d’avance: « Elle attend le retour de son enfant et tu sais ne jamais pouvoir le lui rendre. » Car la ville natale est avant tout mère patrie: comment réussir avec Liège là où on échoue avec sa propre génitrice? Le temps de quelques lignes hilarantes qui crient le vécu, Anton fait virer les retrouvailles maternelles au psycho-drame, et le retour au fiasco. Disparition d’accent liégeois, parisianité dégoulinante, rouge à lèvres tape-à-l’oeil: toutes preuves que la fille est partie -qu’elle a trahi. Peu à peu, sous le vernis acceptable de l’éloignement géographique et du choc des cultures bien compréhensible, Joanne Anton creuse d’autres fossés plus intimes, plus inavouables. « Ton identité doit le silence sur toutes sortes de sujets pour ne pas être une identité mauvaise, une identité ingrate qui n’accorde pas la moindre indulgence à celle qui a voulu l’inventer. »

Tout au long du récit, Anton tutoie. Elle-même et donc son lecteur, par ricochet. Une manière frontale, incisive de questionner une identité en fragments, composite de pièces mal emboîtées et d’intervenants représentés d’entrée de livre par d’inquiétants et naïfs petits masques cousus. Qu’est-ce que l’identité -celle que les autres aimeraient nous voir prendre, celle qui s’est fragilement construite sur un refus de les satisfaire?

Structure sèche traversée de vraies fulgurances, Liège, oui est une tentative de reconquête des endroits qui nous habitent. On est toujours de quelque part. Le tout est de savoir comment y revenir.

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