L’horizon perdu, par Pascal Wathelet

Les 12 meilleurs candidats du concours de nouvelles sur le thème du Mur organisé par Le Vif et Focus ont été conviés à un atelier animé par Simon Johannin, lors de la dernière Foire du livre.

L’homme est debout face au mur. Des gouttes de sueurs perlent sur son front. Il est prêt, il va commencer l’escalade. Il est au pied de ce rempart depuis trop longtemps.

Au début, était l’horizon où se couche le soleil. Il n’était alors qu’un bambin assis sur le sable. Il voyait au loin la mer mourir en vaguelettes sur la plage. Tout était calme. Puis, vinrent les premiers cris stridents de sa mère. Elle le houspillait sévèrement car il allait ramener du sable à la maison. Une première brique se posa devant lui. Les reproches de la mère et les coups de bâton furent nombreux. Cela dura de longues années et à chaque réprimande, une brique se posait devant lui. L’une à côté de l’autre, l’une sur l’autre. Lentement elles formèrent un muret.

Ensuite, vint ce soir. Il était enfin pubère et sa mère se fit plus douce et devint amante d’une nuit. Lorsqu’honteux et dégoûté il revint amer se coucher sur la plage, de nouvelles briques avaient rehaussé le muret. Il parvenait encore à l’escalader mais avec difficultés. À peine apercevait-il encore l’horizon.

Et le temps passait. Son appétence pour le sexe opposé lui faisait faux bond. Il n’avait d’yeux que pour les autres garçons. Lorsqu’il s’égarait avec l’un d’eux dans le plus grand secret, honteux il retournait sur la plage. A chaque fois des briques avaient rendu le mur un peu plus haut. Il n’y avait personne dans son entourage qui puisse l’aider à abattre la muraille. Sa peur et sa honte l’empêchaient de demander de l’aide. Il restait là, interdit devant l’édifice.

Un jour, il rencontra un homme de deux fois son âge. A dix-huit ans il croyait que cet homme lui donnerait la force de briser le mur. Ils se perdirent plusieurs années dans les bras l’un de l’autre. Le jeune homme qu’il était espérait secrètement garder pour lui seul l’homme qu’il croyait de sa vie. Mais ce dernier avait une famille qu’il ne voulait pour rien au monde briser. Il proposa même à son jeune amant de s’accommoder de la situation. Mais celui-ci finit par s’épuiser de cet amour qui n’en était plus un. Il s’en alla pleurer sur la plage, la muraille était devenue infranchissable.

Il croyait qu’il trouverait une solution à son problème dans le monde du travail. Mais là aussi, la peur et la lâcheté eurent raison de sa volonté. La crainte des chefs et du chômage était plus forte. Il retournait régulièrement sur la plage avec l’espoir de revoir l’horizon. Mais, jour après jour, mois après mois, année après année, le mur se faisait de plus en plus haut. Pas question de le contourner, sa longueur était infinie.

Il se dit que s’il rentrait dans la norme, il trouverait le courage et la force de franchir le mur afin de retrouver l’horizon. Il rencontra donc des jeunes filles ou plutôt des femmes. Il en rencontra une qui, pensait-il, lui ferait oublier tout ce qu’il était, le changerait. Las, le destin en décida autrement. Après treize années de parfait bonheur, il eut le coup de foudre pour un garçon rencontré par hasard. Il ne savait que faire. Son père aurait su le conseiller. Il était son meilleur ami. Ils se disaient tout, ou presque. Si son père était loquace sur sa vie extra familiale, le jeune homme qu’il était taisait certaines choses. Il le regrettait aujourd’hui. Combien de fois aurait-il voulu lui dire: « Papa, j’aime un garçon ». Son père, comme à son habitude lui aurait sûrement dit: « Si tu penses que c’est bien, fais-le ». A présent, son meilleur ami avait quitté le monde depuis longtemps. Il était trop tard pour lui confier les secrets qu’il avait tus. En souvenir de ce père aimé, il revint sur la plage. Mais la muraille se faisait forteresse. Il ne voyait plus l’horizon. A peine apercevait-il le soleil.

Il décida seul de quitter son épouse et de vivre sa vie dans la grande ville. Les amours d’un soir succédaient aux amours sans lendemain. Il avait quitté la plage. Un jour, il rencontra un garçon en qui il croyait. Leur amour dura six mois, une éternité. Mais une fois encore, le sort s’acharna. Son amoureux disparut une nuit, après l’avoir drogué et volé. Cela provoqua un électrochoc. Il alla rapidement à la plage et de rage, il tenta de desceller les briques pour démonter le mur. Il rentra chez lui les mains en sang. L’obstacle était toujours là.

Finalement, par dépit, il se tourna vers les hommes de science. Pendant de longues heures, il leur raconta son histoire. Point par point, il essaya de n’omettre aucun détail. Au début, ils le laissèrent parler. Ils s’appliquaient à écouter avec attention. Cela lui coûtait un effort considérable de tout dire de sa vie. Mais tel était le marché, il ne devait rien omettre sous peine de ne trouver aucune solution. Puis, un jour, les scientifiques se mirent à parler. A démonter la mécanique de sa vie. Petit à petit, ils lui redonnèrent confiance. En appliquant les bonnes techniques, il pourrait escalader le mur, atteindre le sommet et ainsi revoir l’horizon. Les hommes de l’art lui apprirent les trucs et astuces de l’escalade.

Par un beau matin, il se retrouva seul au pied du mur et se mit à l’escalader comme on le lui avait appris. Centimètre par centimètre, il s’élevait vers le sommet de l’ouvrage. La moindre aspérité lui servait d’appui. L’ascension fut longue, mais un jour, il vit l’horizon. Lentement il voyait le soleil se baigner dans la mer. Devant ce spectacle, il se sentit pousser des ailes. Pris d’une irrésistible pulsion, il s’élança dans les airs, vers le soleil.

Le lendemain la presse locale relatait dans les faits divers: « un homme désespéré se jette du haut d’une falaise ».

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