Critique | Livres

Les Aiguilles d’or: un roman d’aventure mystérieux et addictif

4 / 5
© LAURENCE SENELIK COLLECTION

Michael McDowell, éditions Monsieur Toussaint Louverture

Les Aiguilles d'or

520 pages

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Laurent Raphaël
Laurent Raphaël Rédacteur en chef Focus

Fin du XIXe siècle, deux familles que tout oppose s’affrontent dans un récit gothique addictif revisitant la lutte des classes et des sexes.

Les Aiguilles d’or ****

On doit au patron des éditions Monsieur Toussaint Louverture Dominique Bordes la découverte d’auteurs étrangers exceptionnels restés inexplicablement inédits en francophonie. Comme Steve Tesich (Karoo) ou Frederick Exley (Le Dernier Stade de la soif).

L’an passé, cet inlassable chercheur d’or franchissait un nouveau cap en exhumant cette fois un romancier populaire, Michael McDowell (1950-1999). “Populaire”, mais au sens noble du terme, le genre qui fait friser les moustaches avec des histoires d’aventure palpitantes de la trempe d’un Alexandre Dumas ou d’un Edgar Allan Poe.

La chance sourit visiblement aux audacieux puisque 330 000 lecteurs ont mordu à l’hameçon de Blackwater, saga épique en six tomes publiée directement en poche mais dans un emballage particulièrement soigné, avec ses enluminures et son graphisme rétro ciselé. L’éditeur indépendant n’allait pas s’arrêter en si bon chemin. Un an plus tard, “La Bibliothèque McDowell” s’enrichit d’un nouveau titre, première brique d’un cycle consacré aux six romans gothiques que le graphomane américain a entrepris entre 1979 et 1983.

Qui gagne perd

Les Aiguilles d’or se déroule “en l’an de grâce 1882”, à une époque où New York offre deux visages contrastés: d’un côté, l’opulence, les parcs aérés, les demeures patriciennes, les armées de domestiques; de l’autre, les bas-fonds, les lieux de débauche où s’entassent les pauvres, les déchus, les criminels, les souffreteux.

L’assassinat d’un avocat dans le pire de ces quartiers malfamés, le Triangle Noir, va aiguiser les ambitions d’une famille de notables, les Stallworth, chaque membre ayant une bonne raison de vouloir éradiquer le vice: le patriarche, juge conservateur inflexible, pour tacler l’autorité des démocrates; son beau-fils, avocat, pour préparer son entrée en politique; et le fils, pasteur moralisateur, pour corser ses sermons. Sauf qu’en s’attaquant aux Shanks, l’un des clans les plus discrets mais les plus puissants, qui a la particularité d’être composé exclusivement de femmes, les Stallworth vont tirer le mauvais numéro. La vengeance ourdie par Lena, à la tête de ce redoutable matriarcat, sera terrible.

Cette plongée dans une ville rongée par la misère et le crime rappelle Dickens, mais en plus sombre et surtout en plus exubérant, la langue puissante de McDowell faisant bouillonner ce marigot urbain. On verrait d’ailleurs bien Tim Burton, époque Sweeney Todd, s’emparer de ce scénario très cinématographique.

Débridé mais en même temps parfaitement maîtrisé dans sa construction jalonnée de rebondissements spectaculaires -limite gore parfois-, de personnages secondaires mémorables et de descriptions précises des mœurs de l’époque (les dérives de la presse, le racisme institutionnalisé, l’arbitraire judiciaire…), ce conte cruel n’a pas pour seule ambition de divertir: roman d’aventure, roman d’épouvante (pas de monstres mais un défilé de freaks et une ambiance mystérieuse flottant dans les ruelles comme dans les fumeries d’opium) et roman social, Les Aiguilles d’or égratigne une société en réalité corrompue à tous les étages. Un portrait saisissant, plus gris que noir ou blanc, de la nature humaine, qui se dévore tous poils hérissés.

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