Critique | Livres

Le Royaume enchanté: un touchant adieu littéraire de Russell Banks

4 / 5
© Chase Twichell

Russell Banks, éditions Actes Sud

Le Royaume enchanté

400 pages

4 / 5
© National
Philippe Manche Journaliste

Récit initiatique doublé d’une autobiographie fictive, Le Royaume enchanté de Russell Banks est profondément mélancolique.

Paru aux États-Unis peu de temps avant son décès le 7 janvier 2023, Le Royaume enchanté est donc de tout dernier roman -son quatorzième- de l’immense écrivain qu’était l’auteur des formidables Affliction,Sous le règne de Bone ou American Darling. Empathique, tourmenté et engagé, le double finaliste du Pulitzer restera comme l’un des plus fins et des plus subtils observateurs de son Amérique natale. Quel autre livre que son chef-d’œuvre Continents à la dérive,- peut-être América de T.C. Boyle?- peut se targuer d’approcher au plus près la schizophrénie d’un pays en proie à ses plus abjectes contradictions? Tout ça pour dire que se plonger dans le dernier ouvrage de l’ex-président du Parlement des écrivains est une expérience aussi mélancolique que son contenu.

Avec son précédent et intime Oh, Canada, dont le titre était un clin d’œil au Canada de son ami Richard Ford, Russell Banks avait déjà embrassé la forme d’une fausse autobiographie pour raconter la vieillesse et la mort. Dans Le Royaume enchanté, ce n’est plus un ancien réalisateur de documentaire qui se confie face caméra mais bien -encore un!- un homme âgé, par le biais de vieilles bandes magnétiques découvertes par Russell Banks dans “un carton trempé par la tempête au sous-sol de la bibliothèque municipale de St. Cloud, en Floride”.

Fascinant et foisonnant

En 1971, l’individu qu’est Harley Mann a 81 ans. Et à l’écrivain doté de ce souffle narratif incomparable de raconter bande après bande, chapitre après chapitre, le destin pour le moins singulier d’un homme qui s’est installé au début du XXe siècle avec sa famille dans la colonie utopiste de Waycross, fondée par les adeptes radicaux de Ruskin avant de s’installer définitivement au sein d’une communauté de Shakers dans les marais de Floride, pas loin aujourd’hui du parc d’attractions de Walt Disney World. D’où le titre doucement amer de ce roman fascinant, foisonnant, porté par une grande rigueur historique.

Ce récit initiatique immensément mélancolique offre à Russell Banks une (dernière) occasion de se pencher sur l’Histoire de son pays, comme il l’avait fait déjà avec Pourfendeur des nuages, et de revisiter ce qui s’apparente à un paradis perdu. Harley Mann, son narrateur, nous fait partager son quotidien au sein de cette colonie extrêmement pieuse où l’abstinence est de rigueur. Un quotidien où le jeune homme s’épanouit malgré tout en devenant l’apiculteur de la “famille”. Fort de ce matériau romanesque, Russell Banks n’oublie pas l’histoire d’amour forcément impossible entre Harley et la jeune Sadie pour offrir à ce Royaume enchanté une profonde réflexion sur la mémoire et la manière dont on la revisite au fil des ans et des décennies. Troublant et tout aussi touchant.

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