
Le nouveau roman de Peter Heller, «La Pommeraie», est un petit bijou naturaliste explorant avec pudeur une relation mère-fille
Dans son nouveau roman, l’Américain Peter Heller met en scène le souvenir d’une relation mère-fille fusionnelle sur fond de retour à la nature, d’amitiés sororales et de résilience poétique.
Frith n’a que 6 ans quand sa mère, Hayley, professeure et «immense traductrice» de poésie chinoise de la dynastie Tang, décide de rompre les amarres avec le monde moderne pour aller s’installer avec sa fille et leur chien Ours dans une cabane du Vermont, au milieu d’une pommeraie qui a connu des jours meilleurs. Un déménagement, ou plutôt un exil, «dans ce paysage bucolique, délabré et déglingué pour s’inventer une nouvelle vie au plus près de la nature», se souvient avec émotion des années plus tard, un soir de blizzard, l’intrépide et délurée fillette, devenue entre-temps elle-même enseignante.
C’est à travers le filtre intime et mélancolique de la mémoire, tisonnée par la redécouverte dans un coffre en bois d’un carnet contenant les 30 poèmes du VIIIe siècle de la princesse Li Xue qu’a patiemment «transmué» en anglais l’ex-exégète, que l’on s’immisce dans le quotidien âpre mais baigné d’amour de ce tandem mère-fille. A la lueur des ancestraux vers luisants évoquant la perte d’un mari, l’amitié ou la solitude, les souvenirs d’enfance convoqués par une Frith à la croisée des chemins –elle est enceinte– ravivent les sensations d’une période rythmée par les récoltes de sirop d’érable –leur seule rentrée financière–, les lectures formatrices, les interminables parties de fer à cheval et les quelques rencontres déterminantes. En particulier avec Rose, artiste aussi excentrique qu’attachante, par ailleurs grande pourvoyeuse d’histoires parfois effrayantes qui marquent durablement l’esprit d’une petite fille alerte. Une tante adoptive en quelque sorte qui va venir trianguler une relation un peu trop fusionnelle et exclusive. Car avec le recul, si Frith est convaincue que sa mère n’avait «rien d’un monstre» –«elle faisait de son mieux»– , elle s’interroge quand même sur le degré d’inconscience de ce choix radical, motivé autant par le rejet des conventions que par le besoin de s’éloigner du père de sa fille, homme admirable qui s’est égaré dans l’héroïne.
Et au milieu coule une rivière
Attentif aux murmures de la faune et de la flore, le récit semble dialoguer avec les sensations qui traversent rétrospectivement la narratrice. Sous l’apparente insouciance sourd ici et là une inquiétude potentiellement annonciatrice d’une tragédie. C’est sa force, la langue fluide et organique de Peter Heller capte aussi bien la beauté de la nature que son envers sauvage et mystérieux. Cette atmosphère légèrement oppressante imprégnait déjà Le Guide, western naturaliste haletant dans lequel on retrouvait aussi le motif du cours d’eau tumultueux, à la fois source de vie et lieu de perdition.
A travers le dédale parfumé des images d’archives, Frith cherche des réponses à ses questionnements de trentenaire désormais orpheline: qu’est-ce que le bonheur? Comment éduquer son futur enfant? Que faire du géniteur, un chouette collègue qu’elle apprécie, mais qui n’était pas prévu au programme? Pudique et sensible, ce roman d’apprentissage célèbre le courage de femmes admirables qui affrontent «le monde et ses déceptions main dans la main». Une lecture à fleur de peau qui a l’éclat d’un rayon ricochant sur la surface de l’eau, loin du brouhaha stérile des fake news et du fracas destructeur des bombes.
La Pommeraie
De Peter Heller, éditions Actes Sud, traduit de l’anglais (Etats-Unis) par Céline Leroy, 272 pages.
La cote de Focus: 4/5
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