Critique | Livres

[le livre de la semaine] Tu ne désireras pas, de Jonathan Miles: This Is Your (Waste) Land

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Sous couvert d’une fresque satirique et écologique, Jonathan Miles surprend avec Tu ne désireras pas, son second roman. Peut-être bien un futur classique.

On avait bien remarqué, depuis un certain temps, la tendance de nos sociétés capitalistes occidentales au consumérisme extrême, et le gaspillage généralisé en résultant. On n’était pas sûr, cela dit, de se passionner pour un livre sur ce thème… En plus, de Jonathan Miles, on ne sait que très peu -de lui on ne recense en français qu’un ouvrage nommé Dear American Airlines, intrigante lettre à la célèbre compagnie aérienne-, mais, comme à chaque publication des éditions Monsieur Toussaint Louverture, l’objet est particulièrement soigné et, disons-le, donne éminemment envie de le lire.

Cela commence avec ce type au prénom étrange, Talmage, occupé littéralement à fouiller dans les poubelles. Avec sa petite amie, Micah, il squatte un appartement abandonné. Ces adeptes de la décroissance et du freeganisme squattent en plein coeur de Manhattan (par rapport à la société, c’est clairement à la marge qu’ils se situent). Il y a aussi Elwin, professeur de linguistique et pointure dans le domaine. Quand le roman débute, il vient de renverser un chevreuil, est en pleine crise de la cinquantaine, sa femme l’a quitté, et son père est atteint de la maladie d’Alzheimer… N’en jetez plus. Enfin, on nous présente Sara et toute sa petite famille: Dave, son second et détestable mari (le premier est mort dans les tours du World Trade Center un certain 11 septembre) et Alexis, sa fille, en phase adolescente préapocalyptique…

Un don pour happer

Miles possède une véritable voix, et peu importe qu’il emploie un style plutôt familier, on ne se défait pas comme ça de son roman choral. « Dis-moi ce que tu jettes et je te dirai qui tu es »: c’est cette formule que Miles semble avoir en tête. À coups de phrases délicieusement à rallonge, il tend à quasi épuiser chacun des aspects de la vie de ses personnages désabusés. Car plus que les habitudes en termes de consommation, d’hygiène et de poubelles blanches, jaunes ou bleues, l’auteur vise à sonder la psyché humaine. On rendra rapidement les armes: il possède un véritable don pour happer et émouvoir le lecteur dans des scènes aussi improbables qu’un box de garde-meuble perdu au fin fond de l’État pourtant ingrat du New Jersey, ou dans la morne chambre d’une maison de retraite puant la mort dans tous les couloirs.

Après nous avoir révélé comment fabriquer un réchaud à l’aide d’une canette de Heineken, fait frôler la mort à plusieurs reprises au chanteur Billy Joel et expliqué ce qu’est l’étron parfait, le livre va soudain atteindre une profondeur insoupçonnée et sonder notre propre date de péremption éventuelle. Des destinées vont s’effleurer, et il n’est pas exclu que Jonathan Miles vous redonne finalement foi en l’humanité. Bon sang, serait-on en présence d’un chef-d’oeuvre? Un décidément bien bel objet en tout cas. De ceux que l’on garde précieusement, pour les transmettre aux générations futures…

Tu ne désireras pas

De Jonathan Miles, traduit de l’anglais (États-Unis) par Jean-Charles Khalifa, éditions Monsieur Toussaint Louverture, 464 pages. ****(*)

[le livre de la semaine] Tu ne désireras pas, de Jonathan Miles: This Is Your (Waste) Land

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