Critique | Livres

Le livre de la semaine: La Position, de Meg Wolitzer

Meg Wolitzer © Lisa Barlow
Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

ROMAN | La révolution sexuelle n’a pas eu que du bon. Meg Wolitzer explore ses méfaits dans une saga familiale genre série télé comiquement menée. Sans plus.

Le livre de la semaine: La Position, de Meg Wolitzer
© Sonatine

Les seventies n’ont pas eu que des effets euphorisants et émancipateurs. Et la libération des moeurs n’a pas forcément conduit ses rejetons à du bonheur liquide. C’est en tout cas la thèse, poursuivie en mode saga familiale, de Meg Wolitzer, une Américaine de 55 ans que la presse anglo-saxonne a (un peu vite sans doute) comparé à Jeffrey Eugenides (Middlesex) ou Jonathan Franzen (Les Corrections) lors de la sortie en vo de La Position.

Nous sommes à Long Island en 1975. Les Mellow habitent une maison pleine de cadres, de moquette et d’enfants rangés par taille: Holly, Michael, Dashiell et Carla. Soit un clan de la côte est tout ce qu’il y a d’apparemment formaté, n’était-ce cette tendance à l’étrange et au foutraque qui tire les enfants Mellow du côté de la famille Tenenbaum chère à Wes Anderson (Michael, 13 ans, désire physiquement sa soeur Holly, tandis que la petite Carla voue un culte aux poupées trolls). Quant aux parents, Roz et Paul Mellow, couple d’écrivains hédonistes très en phase avec le vent de liberté qui caractérise l’époque, ils viennent de publier Le Plaisir: voyage d’un couple au bout de la volupté. Soit un guide béat et hyper esthétisant tout à la gloire de leur vie sexuelle aventureuse et gourmande, sorte de Kâma-Sûtra mâtiné d’art érotique chinois mis au goût du lectorat américain. C’est le début d’un carton éditorial, et d’une tournée de conférences à travers les Etats-Unis. Le manifeste finira, dans quelques pages hilarantes, par tomber entre les mains de leur progéniture. Les quatre enfants seront pris d’une incommensurable honte devant les images d’une scène primale rejouée (leurs parents, enchevêtrés et radieux, illustrant les positions sur papier glacé) et propulsés malgré eux dans une déflagration intime insidieuse, que Wolitzer se propose d’explorer, quelque 30 ans plus tard, au moment où chacun, arrivé à l’âge adulte, se débattra avec ce pesant héritage.

Mégalopole de la frustration

Reflets d’une société qui brandit la famille comme l’une de ses valeurs refuge, les romans américains en ont fait un thème de prédilection -choisissant, pour les meilleurs d’entre eux, l’angle de l’aliénation domestique et des dysfonctionnements affectifs. Sa thérapie familiale romanesque, Meg Wolitzer la mène à travers le prisme du sexe et de sa révolution. Si son pitch est excellent, la réalisation n’évite pas un certain systématisme, en mode série télé: quatre destinées exposées tour à tour, ne manquant pas çà et là d’humour corrosif ou de détails détraqués, mais bien parfois de complexité et de consistance, quatre vies un peu artificiellement réunies (le prétexte de la réédition anniversaire du Plaisir, 30 ans après). Reste les meilleures pages du livre (définitivement celles consacrées aux seventies) et la mise en perspective qu’elles induisent: partant de cette hauteur, La Position toise notre époque névrosée et frigide, génération en crise issue d’une ère baba cool insouciante, baignant dans le plaisir facile et égoïstement consommé, à qui ses prédécesseurs n’auraient laissé que des miettes. Le message de Wolitzer est non négociable, mais poétique: « La frustration sexuelle est une véritable mégalopole, une ville-monde dont les fenêtres restent éclairées d’une lumière vive jusque tard dans la nuit. »

  • DE MEG WOLITZER, ÉDITIONS SONATINE, TRADUIT DE L’ANGLAIS (USA) PAR MADELEINE NASALIK, 400 PAGES.

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