Critique | Livres

[Le livre de la semaine] Histoire de la littérature récente (T.1), d’Olivier Cadiot

Olivier Cadiot © DR
Ysaline Parisis
Ysaline Parisis Journaliste livres

ESSAI | Avec Histoire de la littérature récente, Olivier Cadiot signe un petit traité de la chose écrite mordant, débridé et hilarant.

A peu près au milieu du livre, Oliver Cadiot rapporte une anecdote. « Quelqu’un m’avait dit gentiment: Mais pourquoi écris-tu comme ça? Très gentiment, avec une incompréhension douce, comme si je m’évertuais à fermer un oeil en permanence; comme si je parlais en poussant de petits cris à la place des virgules ou que je portais une perruque Louis XV pour aller faire mes courses. Pourquoi fais-tu ça? » L’histoire (vraie ou fausse) a de quoi interpeller. Car effectivement, comment caractériser le style de l’accusé? Décalée, incongrue, inventive, étonnante, la prose de Cadiot explose toujours un peu à côté de sa cible, et ses objets sont tout aussi imprévisibles. Théâtre, livrets d’opéra (To be Sung de Pascal Dusapin, vu récemment à la Monnaie), traduction de textes bibliques ou de Gertrude Stein, le poète et dramaturge français conduit une oeuvre protéiforme, ayant aussi lancé il y a vingt ans la collective Revue de littérature générale, dans laquelle il s’entourait de sociologues, philosophes, musiciens ou paysagistes.

Méthode révolutionnaire

[Le livre de la semaine] Histoire de la littérature récente (T.1), d'Olivier Cadiot

C’est à cette dernière veine qu’Histoire de la littérature récente semble d’ailleurs se rattacher -il suffit de considérer son titre, aussi formel que superambitieux. Mais l’exercice est cette fois solo et menteur, qui dynamite d’emblée les attentes: dans ce qu’il annonce comme « Une méthode révolutionnaire pour apprendre à écrire en lisant » (notez l’ironie), Olivier Cadiot fait davantage montre de virtuosité et de (mauvais) esprit que d’encyclopédisme et d’exhaustivité. En 61 entrées très brèves (exemples en vrac: Innombrables nuances de gris, Hypertension, Amicale des ortolans ou Mal dit, mal fait), le vrai faux théoricien se livre à une suite de joyeuses considérations sur la littérature et ses prétentieux et désarmants faiseurs: les écrivains. Trait singulier: c’est en pur romancier que Cadiot aborde le genre de l’essai. Enchaînant ce qui ressemble à de petites nouvelles dans lesquelles il change de destinataires et d’adresses (passant allègrement du « vous » au « il » ou au « je »), il décourage les apprentis écrivains (« Finalement, je vous déconseille d’embrasser cette profession »), tout en leur donnant une succession de conseils hilarants, foisonnants et foutraques. Un peu à la manière de Roland Barthes, ce grand admirateur de Burroughs traque les petites mythologies de l’écriture: travers de l’autofiction (« A force de gémir, vous finirez par y croire, à l’importance de votre malheur »), fantasme récurrent du degré zéro de l’écriture (« Mais oui, on s’en fout, pas d’écriture, pitié; ils ont raison. On le fait tous les trente ans depuis cinq siècles »), manie du carnet de notes qu’on emporte partout mais ne remplit jamais, posture romantique de l’inspiration, ou rapport à l’effort, et ses déceptions (« Personne n’est satisfait de sa manière d’écrire, seuls certains secrétaires de ministères, quelques professeurs de l’enseignement supérieur ou des préfets à la retraite pensent écrire bien naturellement. Quel privilège. »). Et si son livre prend les contours d’un anti-manuel capable de dire tout et son contraire, il a aussi ceci de délicieusement paradoxal qu’il proclame haut et fort la mort de la littérature tout en s’y adonnant au même moment sous le manteau: Cadiot y fait décidément (micro-)fiction de tout bois (préparation d’un sandwich, visite de sa mère, etc.), traquant la poésie jusque dans un dépliant de livraison de sushis… Tout à la fois décliniste et créatif, Histoire de la littérature récente est le livre d’une extinction sans cesse repoussée. Ça tombe bien: annoncé comme un tome 1, le volume se conclut sur cette parenthèse réjouissante: « (À suivre). »

D’OLIVIER CADIOT, EDITIONS P.O.L., 192 PAGES.

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